Inspiré en partie par la commedia dell'arte, le théâtre de Marivaux est d'abord un art de la conversation. Le plaisir qu'on en tire vient en effet de cette langue fine, élégante et féconde, qui passe son temps à jouer à cache-cache avec la vérité. Si marivaudage rime avec badinage, il n'en demeure pas moins que les plus célèbres pièces du dramaturge s'appuient sur la duplicité.

Il en va ainsi du Jeu de l'amour et du hasard, pièce en apparence charmante, mais aux reflets ombrageux dans laquelle un projet de mariage donne lieu à un jeu de séduction teinté par une lutte de classes. Inquiète de ne pas connaître le jeune homme à qui son père souhaite l'unir, Silvia se fait passer pour sa soubrette afin d'observer en douce son prétendant. Elle ne sait pas que Dorante a eu la même idée qu'elle...

Qui est au courant du subterfuge? Orgon et Mario, le père et le frère de Silvia, qui s'amusent d'ailleurs à «guider» le hasard. Puis nous, dans la salle, qui devenons des complices amusés de cet imbroglio où, du coup, presque chaque phrase semble receler un double sens. Un trait de la pièce à laquelle fait écho la scénographie à deux faces d'Anne-Marie Matteau, agrémentée d'un célèbre tableau de Fragonard (Les hasards heureux de l'escarpolette) un brin coquin.

Des excès dans l'interprétation

Carl Poliquin a opté pour une mise en scène alerte qui insiste peu sur les inégalités sociales sur lesquelles la pièce repose en grande partie et encore moins sur ce qu'il y a de vaniteux chez Silvia. Sa proposition met plutôt l'accent sur son caractère ludique et sur la quête de vérité dans le sentiment amoureux. Il joue habilement des apartés, orchestre d'amusants chassés-croisés, mais pèche parfois par excès dans sa direction d'acteurs, comme le font tant de metteurs en scène avec Molière.

Il force en particulier le trait en ce qui a trait au jeu de Julie Gagné (Lisette) et de Daniel Desparois (Arlequin). Le renversement opéré par Marivaux est certes carnavalesque. Or, fallait-il que cet Arlequin soit un tel bouffon et même cette espèce de chien fou? On retiendra davantage le jeu plus juste et plaisant d'Agathe Lanctôt et de Guillaume Champoux, qui, en plus de savoir bien faire entendre le texte, forment un tandem charmant, en accord avec le ton très «comédie romantique» de l'ensemble.

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Le jeu de l'amour et du hasard, jusqu'au 15 février au Théâtre Denise-Pelletier.