Sur les planches, à la télévision et bientôt sur le plateau du prochain film de Léa Pool, Céline Bonnier est très demandée ces jours-ci. Mais n'allez pas croire que le succès va changer sa vie ou sa vision du métier.

Certaines actrices jouent pour vivre. Céline Bonnier vit pour jouer.

Depuis 25 ans, la comédienne fait son métier avec constance, rigueur et polyvalence. L'interprète passe de la scène à l'écran, du théâtre expérimental au cinéma populaire, des femmes marginales aux mères responsables, avec toujours le même investissement et la même confiance en elle.

Il faut dire qu'elle sait bien s'entourer. Elle a collaboré avec des metteurs en scène et des réalisateurs qui cherchent davantage qu'ils ne trouvent de réponses dans la création. Des artistes comme Robert Lepage, Brigitte Haentjens, Jean-Frédéric Messier, André Forcier, pour ne nommer que ceux-là.

Cet automne, Bonnier éclipse presque l'autre Céline! Le mardi, la soirée lui appartient avec deux téléséries qui ont la cote (d'écoute et d'amour): Unité 9 à Radio-Canada et Un sur 2 à TVA. Cette semaine, elle monte sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde pour incarner une célèbre reine de Suède, dans une création de Michel Marc Bouchard, mise en scène par Serge Denoncourt: Christine, la reine-garçon.

Alors, quand la comédienne nous confie «préférer l'ombre» à la lumière éclatante de la notoriété, on s'étonne un peu. «Certes, les gens m'arrêtent davantage dans la rue, dit-elle. C'est assez nouveau pour moi. J'ai toujours voulu protéger mon intimité, et pas juste dans mes relations amoureuses. Si un acteur n'existe que dans la sphère publique, il ne s'écoute plus. Et il risque de s'épuiser, de se perdre...»

De l'avis de ses collègues et amis, Céline Bonnier est très bien dans sa peau. On la qualifie de forte, déterminée, avec les deux pieds ancrés au sol. «Céline est blindée comme une jeep, un VTT, mais aussi raffinée comme une Ferrari ou une Jaguar», avance Claude Legault, son partenaire d'Un sur 2, qui semble bien aimer les métaphores automobiles. «C'est une actrice complète. Elle a un immense registre! La première fois qu'on a joué ensemble (dans le film French kiss), j'étais intimidé par elle au début. Or, tout de suite, Céline a installé un climat agréable, de confiance. Je souhaite à tous les acteurs de pouvoir tourner avec elle.»

Actrice de fond

Diplômée du Conservatoire de théâtre de Québec, Céline Bonnier vient d'une famille de huit enfants avec des parents cultivés et aimants, qui l'ont toujours encouragée dans ses choix. L'actrice pense que c'est probablement grâce à son enfance et à son éducation qu'elle dégage cette aura de confiance sur les plateaux. «Je ne suis pas une peureuse. Je ne crains pas le stress de la création, ni du travail», dit-elle. «Comme Céline ne souffre pas d'insécurité, elle est généreuse et très à l'écoute des autres, ajoute Claude Legault; elle fait tout pour que son partenaire excelle.»

Quand on parle de l'ego d'un acteur, c'est souvent péjoratif. Pas aux oreilles de Céline Bonnier. «Oui, ça en prend de l'ego, dans la vie! C'est même essentiel pour monter sur une scène. Mais l'ego doit rester à la bonne place. Un acteur se sert de son ego pour aller chercher la lumière qu'il doit diffuser. Ensuite, il faut s'oublier, revenir à la simplicité et l'humilité du travail

de l'artisan.»

Raison passion

À la blague, Michel Marc Bouchard lance qu'il a tout de suite pensé à Céline Bonnier pour incarner Christine de Suède, «parce qu'elle est laide, masculine, vulgaire et bossue» ! «Christine de Suède n'était pas très belle ni sympathique, explique l'auteur. On est loin de Sissi l'impératrice d'Autriche. D'ailleurs, encore de nos jours, les Suédois ne l'aiment pas beaucoup. Elle les a trahis en abdiquant. Puis, elle est partie en Italie en vidant les coffres et les trésors du pays. Elle était capricieuse, colérique.»

«Dans ma carrière, j'ai souvent joué des personnages implosifs, dépressifs», enchaîne la comédienne. «Et là, j'interprète un femme passionnée et explosive. D'entrée de jeu, dès la première scène, elle pique une colère extrême!»

Céline Bonnier fait un parallèle entre ce personnage historique et Chimène dans Le Cid de Corneille, qu'elle a jouée en 1997, au Théâtre Denise-Pelletier. «Mais Christine a un discours beaucoup plus moderne sur la connaissance, la culture, la politique, l'amour.»

C'est une femme libre qui fait toujours à sa tête et qui rejette les rôles de mère et d'épouse. Elle prône, sous les conseils de Descartes, la philosophie du libre arbitre. «La difficulté de faire face à ses propres choix, individuellement ou collectivement, ça reste d'actualité, remarque Céline Bonnier. À un moment donné, dans la vie, il faut assumer.»

Pour assumer, l'actrice assume. Comme dans son duo avec la danseuse et musicienne Clara Furey, Hello... How Are You? Un déroutant spectacle chorégraphique dans lequel les deux femmes repoussaient les limites du corps et de la représentation scénique. Son goût de l'aventure de la création en marge lui vient de ses débuts au théâtre. Céline Bonnier a lancé la troupe Momentum avec, entre autres, Sylvie Moreau, François Papineau et Stéphane Crête. Un immense terrain de jeu dans lequel Bonnier replonge périodiquement, seule ou avec l'un des neuf membres fondateurs. Pour transcender les limites de son art. Et s'éclater un peu...

Vieillir, la belle affaire!

«À 25 ans, j'avais hâte d'être proche de la cinquantaine, de sentir le poids de l'expérience, des rôles, se souvient-elle. Bien sûr, ce n'est pas toujours évident de se voir la face en gros plan sur un écran géant. Surtout si je me suis couchée tard, la veille d'un tournage [rires]! Mais vieillir fait partie de la vie... et de la vie des actrices aussi. Je trouve que ça rend même service aux personnages qu'on doit jouer... et qui ne ressemblent pas tous à de jeunes mannequins.»

Comme celui de Suzanne, la plus fragile et tourmentée des détenues de Lietteville dans Unité 9. «C'est clair qu'en jouant dans une série qui se passe en prison, une comédienne accepte que l'éclairage ne l'avantagera pas, que le maquillage ne la flattera pas... Mais moi, quand je regarde Micheline Lanctôt à l'écran, je la trouve belle!», s'exclame Céline Bonnier. «Et soyons francs: ça prend de la volonté pour résister aux chirurgies, au désir de rester jeune. Mais le visage, c'est notre outil de travail. À trop le changer, une actrice perd cet outil qui est le reflet de son âme.»