À l'ère de Lady Gaga, elle semble anachronique cette femme de ménage «attifée» comme la chienne à Jacques, avec sa drôle de «parlure», sa chaise berçante, sa tasse de thé. En apparence, d'accord. Or, 41 ans après sa naissance, La Sagouine demeure une pièce plus contemporaine que bien des oeuvres actuelles.

Pour la bonne raison que ce texte met en scène un personnage attachant, vrai, directement connecté à son âme et à celle de son peuple, les Acadiens. Mais aussi, d'où son caractère épique, lié à la conscience universelle. Créée à Moncton en 1971, souvent présentée au Rideau Vert depuis le 9 octobre 1972, la pièce d'Antonine Maillet est reprise ces jours-ci au même théâtre. Dans une mise en scène d'Eugène Gallant à peine retouchée (la Sagouine ne lave plus le plancher et n'épluche plus de patates), avec sa formidable interprète, merveilleuse Viola Léger (82 ans et plus de 2000 représentations au compteur!).

Et pourquoi il faut la voir ou la revoir? Parce que la Sagouine parle simplement, mais profondément, des choses de la vie. La sienne, d'abord, qui n'a pas été facile. Cette femme pauvre a mis douze enfants au monde et elle en a perdu... neuf! Dans les années 40 et 50, peu d'Acadiens pouvaient s'offrir le luxe des services d'un médecin. Si on avait le malheur d'accoucher en plein hiver, dans une maison mal chauffée au fond des bois... eh ben, tant pis!

La Sagouine écorche aussi l'Église, la bigoterie et autre spectacle de la vanité qui s'érige en religion. La scène où elle décrit la bataille des fidèles, pendant l'encan pour décerner les meilleurs bancs à l'église de la paroisse, est hilarante!

Elle ridiculise aussi le gouvernement. Dans son monologue sur le recensement, un fonctionnaire essaie en vain de mettre dans une case ce peuple de survivants, sans pays ni nation, qui, comme un accident de l'Histoire, est condamné à vivre sa destinée. Ça sonne une cloche?

Son dernier monologue est le plus touchant. C'est celui de l'éveil du printemps et de la soif de bonheur. Alors que, de son balcon, la Sagouine respire à pleins poumons l'air du redoux qui transporte une odeur de dégel et de terre mouillée, elle est transportée par une émotion ambivalente; un mélange de joie, d'angoisse et de nostalgie, qu'elle peut difficilement expliquer tant un «bouchon de liège» au fond de sa gorge l'empêche de comprendre ce qu'elle ressent vraiment.

C'est à ce moment-là que la Sagouine pénètre inexorablement dans nos coeurs. Sa solitude, ses rêves et ses peurs résonnent en nous comme un grand Tintamarre. Et quand le rideau tombe, on est certain de ne jamais l'oublier.

La Sagouine, au Théâtre du Rideau Vert jusqu'au 3 novembre.