Si l'on en croit les créateurs de Bienveillance - Patrice Dubois, Claude Poissant et Dany Michaud - l'auteure Fanny Britt a accouché de cette pièce, non pas dans la douleur et l'angoisse, mais dans le plaisir absolu. Et ça, sans fausse modestie, ce serait un peu grâce à eux.

Dès le départ, Patrice Dubois et Dany Michaud, deux amis dans la vie qui ont fait les beaux jours de La Licorne, ont eu envie de jouer ensemble dans une pièce de Fanny Britt. Avec le metteur en scène Claude Poissant, ils ont pris contact avec l'auteure d'Hôtel Pacifique, Enquête sur le pire et, plus récemment, Chaque jour.

«On s'était entendus pour créer notre nouvelle pièce avec Fanny, raconte Patrice Dubois, mais quand est venu le temps de la création, j'ai trouvé une auteure fatiguée, elle avait traduit plusieurs pièces, et elle ne savait pas par où commencer pour écrire celle-ci. Elle m'a dit un jour: "Je ne sais plus c'est quoi ma matière, c'est quoi ma langue"...» Que faire alors? L'écouter? Reporter le projet?

Patrice Dubois a eu l'idée de lui proposer un petit jeu. «C'était notre opération: sauver Fanny Britt!» rigole-t-il. Chaque semaine, elle passerait quelques heures en ville avec Claude Poissant, Dany Michaud ou lui. «Il y avait des conditions, précise Patrice Dubois: elle ne savait jamais où on allait se voir; on n'avait pas le droit de se parler de théâtre; et chaque rencontre demeurait privée. On ne se parlait jamais entre nous de nos discussions avec elle. C'est Fanny qui détient le secret de tout le monde!»

C'est ainsi que pendant tout l'hiver dernier, Fanny Britt s'est retrouvée dans des lieux insolites, comme la caféteria de l'Hôpital juif, la verrière de la Bibliothèque de Westmount, ou même en voiture, à placoter avec ses collègues. «On a discuté de la vie en général. On s'est beaucoup parlé de notre enfance, de l'amitié aussi. Il fallait que le peintre aille au café, qu'il regarde son atelier de l'autre bord de la rue, comme on dit. Il fallait lui enlever de la pression. Deux mois plus tard, Fanny avait écrit sa pièce.»

Une pièce avec une belle portée dramatique, des personnages attachants, mais aussi très lâches, comme elle les aime. Avec des non-dits qui offrent un bel espace de jeu aux comédiens. Ce que Patrice Dubois a su par la suite, c'est que Fanny Britt est retournée sur les lieux de ces rencontres pour écrire sa pièce.

«C'est sûr qu'il s'est passé quelque chose dans ces rencontres, dit-il. Fanny m'a dit: "C'est la seule pièce que je n'ai pas écrite de mon bureau. Et la seule histoire que j'ai écrite avec plaisir."»

Gilles Jean

Cette histoire est celle de Gilles Jean. Un enfant unique, du fait que ses plus jeunes frères sont tous morts prématurément. Élevé par sa mère dans le village de Bienveillance, après le suicide de son père. Le jeune homme, devenu avocat, croise le chemin de son ami d'enfance Bruno, dans des circonstances délicates. Bruno et sa femme Isabelle ont un enfant dans le coma. Ils poursuivent les services d'urgence qui sont arrivés 46 minutes après qu'ils eurent téléphoné, à la suite d'un malheureux accident. Gilles Jean représente les services d'urgence dans la poursuite intentée par son ami Bruno...

Patrice Dubois, qu'on a vu la dernière fois dans Dissident, de Philippe Ducros, interprète le rôle de Gilles Jean, qui se détache parfois de l'histoire pour s'adresser directement au public.

«C'est un personnage qui semble en pleine possession de ses moyens, mais qui met un pied dans son passé, et qui est très vulnérable. En fait, on a accès à son intérieur, à son coeur, à son âme.» Plusieurs thèmes y sont abordés, dont son rapport à l'amour. Mais aussi, bien sûr, celui de la bonté. «Oui, il y a un appel à l'altruisme. En même temps, mon personnage en est incapable. S'il devient bon, c'est bien malgré lui... Il est constamment dans la fuite.»

Créée à Carleton, en Gaspésie, l'été dernier, la pièce mise en scène par Claude Poissant a été montée dans la délicatesse, précise Patrice Dubois, que l'on verra de nouveau en janvier au TNM dans Le roi se meurt (mis en scène par son frère Frédéric Dubois). Philippe Brault a composé une musique instrumentale qui lie les scènes entre elles. Louise Laprade, Dany Michaud, Sylvie de Morais et Christian E. Roy complètent la distribution.

«Les gens le haïssent, Gilles Jean, nous dit Patrice Dubois, mais en même temps, ils admirent son humanité. Ils se reconnaissent dans ses dilemmes. Bienveillance, ça parle de cette possibilité de s'appartenir par les autres, d'être bon pour les autres. On est tous confrontés à ça.»

À Espace GO

du 2 au 27 octobre.