Denis Marleau enchante le château de Grignan, dans la Drôle provençale, avec sa mise en scène des Femmes savantes de Molière.

Le spectacle, satire fameuse et jouissive du snobisme intellectuel et du pédantisme, est à l'affiche presque tout l'été, mais il est inutile d'espérer y assister sur la route des vacances. Les places se sont envolées dès les premières représentations fin juin et la pièce joue à guichet fermé. Lorsqu'elle quittera l'affiche le 18 août, 31 000 spectateurs l'auront vue.

Habité par le souvenir de Mme de Sévigné, inhumée dans la collégiale, le château domine le magnifique village de Grignan, qui accueille chaque été un Festival de la correspondance. Dans la cour intérieure, les gradins en hémicycle, où prennent place près de 800 spectateurs, s'organisent autour d'un bassin circulaire. Pour seul décor, la belle façade du château Renaissance, devenu lieu de villégiature où arrive une famille pour l'été. Les personnages y sont chez eux, qui vont et viennent, apparaissent aux fenêtres, prennent le soleil ou rentrent du tennis. Il fait encore clair quand commence le spectacle, qui se terminera la nuit venue...

Marleau signe ici son premier Molière. Il le fait comme d'habitude avec une compréhension pointue du texte, sans jamais forcer le trait, en y ajoutant ci et là quelques anachronismes amusants. «Je l'ai monté comme un Molière», lance-t-il, telle une évidence, pour expliquer une mise en scène qui tient de la ligne claire, à la fois légère, fluide et joyeuse.

Comme le montrent les tenues de personnages créées par Ginette Noiseux, le Québécois situe l'histoire dans les années 50. «Je voulais rapprocher le texte de moi, de nous, explique-t-il. C'était une époque marquée par le conformisme mais aussi le début de l'émancipation, où émergeait un nouveau modèle de femmes, avec Simone de Beauvoir par exemple.»

Petit clin d'oeil: les robes sont cintrées, mais leurs motifs sont du 17ème, l'époque de Molière. Stéphanie Jasmin, la conceptrice vidéo, a filmé les tissus et en projette discrètement les ondulations dans les fenêtres du château. C'est «un bruissement, une pulsation, qui accompagne, mais sans chercher à ajouter au sens dramaturgique», dit la compagne de Denis Marleau.

Autre clin d'oeil, c'est sur un scooter Vespa que surgit Trissotin, personnage antipathique que Carl Béchard rend parfaitement ridicule, vénal et ambitieux. Le succès de ces Femmes savantes tient à leurs dix acteurs (dont huit Québécois). Ils sont tous formidables et manient l'alexandrin avec une aisance à la fois naturelle et moderne. Et bien sûr sans aucun accent.

Christiane Pasquier est une remarquable Philaminte. Henri Chassé campe de manière éminemment attachante le père de famille velléitaire effrayé par sa femme. Noémie Godin-Vigneau et la jeune Belge Muriel Legrand sont impeccables dans les rôles des deux soeurs, Armande et Henriette. Quant à Sylvie Léonard, elle est parfaite en Bélise, devenue sous ses traits une tante alcoolique, mythomane et nymphomane s'inventant des courtisans.

La critique théâtrale, qui se concentre surtout sur le Festival d'Avignon en ce moment, se déplace à Grignan pour voir Les Femmes savantes. Le Figaro a salué la mise en scène «remarquable», «heureuse et libre que l'on doit au très grand artiste québécois Denis Marleau». Celui-ci, ont ajouté Les Échos, «réussit un mix inattendu entre classique français et fronde québécoise». D'autres «papiers» sont attendus, dans Le Nouvel Observateur notamment.

Installé dans la campagne à quelques kilomètres de Grignan, Denis Marleau passe tout l'été dans la Drôme, avec sa famille et ses comédiens. Ses Femmes savantes seront présentées au TNM en octobre.