Une chose est sûre: les aficionados purs et durs ne reconnaîtront pas cette fois le Denis Marleau qu'ils fréquentent depuis deux ou trois décennies. On est loin du formalisme brillant des Aveugles, du pessimisme de Thomas Bernard et de l'avant-garde européenne qui fait l'habituel du théâtre Ubu.

Pour cet été en Provence, Marleau s'est offert au château de Grignan, où flotte le souvenir de Mme de Sévigné, une villégiature sage et jubilatoire en compagnie de Molière, un auteur qui, a priori, n'était pas sa tasse de thé. De surcroît, c'est sur une pièce légère et acidulée qu'il a jeté son dévolu: Les femmes savantes, célèbre satire sur les pédants et le snobisme intellectuel de son temps, mais aussi l'éternelle question des rapports hommes-femmes.

Il ne cherche pas ici les complications inutiles, encore moins la «déconstruction»: dans cette version qu'on verra au TNM au mois d'octobre prochain, il y a certes une touche de modernisme, des effets vidéo à petite dose et quelques clins d'oeil ironiques. Mais dans l'ensemble, on reste dans le classicisme épuré et un théâtre d'acteurs auxquels Marleau ne nous avait pas habitués.

Chaque été, le magnifique village de Grignan, où vivait la fille de Mme de Sévigné, accueille un Festival de la correspondance. Mais on y joue également dans la cour intérieure de ce château Renaissance une pièce de théâtre qui reste à l'affiche presque tout l'été. Les femmes savantes, version Marleau, qui a commencé le 26 juin, jouera jusqu'au 18 août.

Marleau se trouvait en France pour son Agamemnon à la Comédie-Française lorsqu'on lui a proposé - dans d'excellentes conditions de production - cette «résidence d'été» à Grignan: «Je suis venu, j'ai trouvé le lieu magnifique, la programmation des dernières années plus qu'honorable et cela m'a plu de m'attaquer à un grand texte classique et consensuel, au profit d'un large public. Cela me changeait de mes habitudes,» dit-il en avalant un morceau, une heure avant le début de la représentation.

«Je n'avais jamais pensé à jouer Molière, ajoute-t-il, mais pour Grignan, le choix des Femmes savantes m'a semblé évident, parce que Mme de Sévigné en était une à sa manière, et qu'elle-même a évoqué la pièce dans sa correspondance.»

On aurait pu s'attendre de Marleau qu'il se lance dans une grande entreprise de «relecture» de la pièce, comme cela se fait volontiers aujourd'hui. Il a opté pour la clarté et le classicisme. Bien sûr, il y a quelques audaces: l'action se déroule en 1950, avec les costumes de l'époque. Le pédant Trissotin fait son apparition sur une Vespa, et Vadius est une réincarnation d'Alfred Jarry sur son vieux vélo. Denis Marleau a également eu cette idée toute simple d'intégrer le décor historique à l'histoire: les personnages vont et viennent du château, se montrent aux fenêtres.

Performances d'acteurs

Mais ce sont les comédiens que l'on remarque. C'est une pièce d'acteurs, pour la première fois peut-être avec Marleau. Ils sont tous excellents, font preuve d'une étonnante facilité dans le maniement des alexandrins, à tel point que les journalistes présents étaient incapables de distinguer les comédiens québécois des deux interprètes belge et française. Mentionnons tout de même trois performances. Carl Béchard campe un Trissotin désopilant, en parfait dandy et ridicule coureur de dot. Henri Chassé est irrésistible en père de famille qui roule les mécaniques et file doux devant sa femme. Autre prestation étonnante: Sylvie Léonard, qui joue les tantes alcoolisées et mythomanes, qui s'inventent des soupirants imaginaires. Tous les comédiens ont eu droit au final à une chaleureuse ovation.

Dans le travail de Marleau, il s'agit d'une parenthèse - joyeuse et assumée. Dès la saison prochaine, il revient en France pour une série de représentations des Aveugles (Maeterlinck) dans une salle de 70 places au très chic «104», nouveau lieu culturel de l'Est parisien. Et, pendant qu'il continuera à surveiller d'un oeil ces Femmes savantes depuis sa retraite de la Drôme provençale, il s'attaquera à la mise en scène d'une pièce de l'Allemande Dea Loher, beaucoup moins grand public que Molière.