Après Les essais de Montaigne, Le discours de la méthode, de Descartes, Candide, de Voltaire, et même La Bible, Loup bleu, petite marionnette savante du Théâtre du sous-marin jaune, s'intéresse à l'histoire canadienne du point de vue des Amérindiens. Un récit de Jean-Frédéric Messier inspiré de l'essai de l'historien Denys Delâge, Le pays renversé.

Ils ne cesseront jamais de nous étonner. La petite équipe du Sous-marin jaune, menée par Antoine Laprise et son alter ego, Loup bleu, n'a pas froid aux yeux, c'est le moins qu'on puisse dire. Avec Kanata, ils s'affairent à nous raconter 200 ans d'histoire en Nouvelle-France, en couvrant les XVIe et XVIIe siècles sous l'angle des relations entre les premiers colons français et les Indiens d'Amérique qui les ont accueillis, premiers Canadiens du nom. Avec leurs nouvelles trouvailles scénographiques, objets transformés et marionnettes.

«Nous racontons les premiers contacts entre les colons français et les Amérindiens, sans qui le français n'aurait certainement pas survécu, explique Antoine Laprise. Nous parlons du métissage entre ces deux communautés, qui ont une histoire fascinante». «On avait l'impression qu'on était un peu plus amérindien qu'on le pensait, renchérit son acolyte Jacques Laroche. Contrairement aux Anglais, qui ont suivi, les colons français n'étaient pas très nombreux. Ils ne voulaient pas se mettre les Indiens à dos, d'autant plus que leur savoir-faire était essentiel à leur survie. Ils ont donc développé des liens importants avec eux.»

La pièce créée à Québec l'automne dernier nous fait donc le récit de la première rencontre avec Jacques Cartier; de l'arrivée de Samuel de Champlain; de l'union avec les Hurons et les Montagnais; de l'émergence des Iroquois, et des nombreuses guerres, qui ont finalement mené à la Grande paix de 1701, lorsque les 31 nations amérindiennes ont signé à Montréal, à Pointe-à-Callière, un traité de paix avec les Français. «On trouve ça aberrant qu'au XXIe siècle il y ait une telle scission entre les Amérindiens et les Franco-Canadiens, alors que pendant 200 ans, ils ont été très proches», indique Jacques Laroche.

Les animaux racontent

L'auteur Jean-Frédéric Messier a tenté de montrer les hauts faits amérindiens. «Ils ont joué un rôle majeur, indique Antoine Laprise. Ils ont sauvé la colonie de Champlain de la famine, ce ne sont pas des figurants. Ce sont les Blancs, les figurants. D'ailleurs, dans la pièce, il y a des Indiens et des marionnettes.»

«C'est aussi un spectacle sur l'économie, dit Jacques Laroche. Sur la marchandisation des ressources naturelles, comme la fourrure. Parce que l'arrivée de l'Européen a changé la façon de vivre et de transiger des Indiens. Dès que l'homme blanc a mis une valeur sur la peau, et a offert des armes et des chaudrons en échange, il y a eu un changement. Les hommes se sont mis à chasser de plus en plus, délaissant leurs femmes. On fait ce parallèle-là.»

Outre Antoine Laprise et Jacques Laroche, Guy Daniel Tremblay et Suzanne Lemoine sont les autres comédiens-marionnettistes qui interpréteront la vingtaine de personnages de Kanata. Sept modules roulants recréent des environnements étonnants qui serviront à faire le récit de cette histoire amérindienne défendue par une petite animalerie. Une fois le couvercle refermé sur ces modules, une carte du Canada apparaît. Cette scénographie «organique» est signée Christian Fontaine et Érica Schmitz. Les marionnettes, elles, ont été conçues par Stéphanie Cloutier. En plus de Loup bleu, on retrouvera donc un corbeau, une mouffette, deux hermines et un castor, sans doute un des fils conducteurs de la pièce, puisqu'il est chassé par tout le monde! Yves Sioui-Durand a été consulté pour valider le contenu «amérindien».

L'héritage amérindien

Dans ses recherches, Jacques Laroche s'est étonné de l'héritage des Amérindiens, dans leur savoir-faire, leur culture et leur pensée. «Pendant la Conquête de 1760, qui a porté un coup fatal aux relations franco-amérindiennes, les Indiens disaient à Montcalm: laissez les Anglais rentrer, on va leur trancher la gorge... Quelques jours avant, 400 Anglais avaient débarqué aux chutes Montmorency. Ils se sont tous fait tuer par les 150 Indiens cachés dans le bois. Wolfe voulait s'en aller. Il avait peur. Mais Montcalm avait son idée, celle de se mettre en rang, sur les Plaines, et tirer devant... Les Indiens se sont dit: c'est qui la gang de caves qui va se mettre dans la première rangée?!»

Que reste-t-il de cet héritage amérindien? «Je crois que c'est le manuel de survie des prochains siècles, répond Antoine Laprise. Claude Lévi-Strauss va jusqu'à dire que l'héritage amérindien est aussi primordial que celui de l'Antiquité grecque. C'est important de connaître notre culture. Le colonialisme, en rétrospective, ne peut pas être perçu positivement. Du point de vue amérindien, il y avait quelque chose d'excessif dans le comportement des Occidentaux, il y a eu un éloignement par rapport à une certaine idée de nature et d'harmonie qu'ils se faisaient. Je pense qu'un retour à ces valeurs serait plus que souhaitable.»

Kanata, une histoire renversée, du 26 avril au 19 mai au Théâtre La Chapelle.