Denis Marleau a construit la mise en scène contemporaine du Roi Lear en se basant sur les deux trames de cette tragédie de Shakespeare: celle de Lear avec ses filles, mais aussi celle de Gloucester avec ses garçons. «J'ai organisé les scènes en fonction de ces histoires. Dans les deux cas, il y a un aveuglement de deux pères qui bannissent leurs enfants, mais qui subissent les contrecoups de ces décisions.»

La mort de son propre père, il y a deux ans, a enrichi le regard qu'il porte sur ce texte. «Je ne pense pas qu'on puisse monter Lear à 25 ans. Pour toucher l'os, comprendre notre condition humaine, il faut être passé par certains deuils, ce que peut engendrer la perte d'un père.» Denis Marleau voulait créer un espace ouvert pour aborder cette pièce de Shakespeare. «Il me fallait un grand plateau avec du vide, qu'on peut remplir et désencombrer. Pour représenter l'errance des personnages de Lear, de Gloucester, d'Edgar, précise-t-il. L'autre élément important c'est que presque toutes les scènes se jouent la nuit.»

La scénographie a été faite avec le plasticien Guillaume Lachapelle, qui a construit des maquettes miniatures en nylon qui représentent les différents lieux de la pièce: le château de Lear, celui de Gloucester, Douvres, etc. Ces maquettes ont été filmées, puis animées. Elles seront projetées sur les trois murs de la scène. On y verra ainsi des plans rapprochés ou éloignés de ces lieux. «Ce sont des images allusives qui représentent des lieux, mais qui décrivent aussi un état d'esprit, explique Denis Marleau. L'idée étant aussi de représenter un homme qui perd ses repères. Il y a un travail sur le jeu des échelles. J'ai voulu suggérer ces appréhensions du réel, dans le petit et dans le grand.»

Denis Marleau a de plus créé trois ambiances sonores dans Le roi Lear. «En dehors des trois murs, on sent qu'il y a un monde extérieur, des hommes, des troupes. Il y a aussi la sensation d'une tempête, qui est à l'image de la tempête intérieure que subit Lear. Et puis il y a aussi la rumeur de la guerre qui se prépare. Ce sont les trois grandes sonorités du spectacle, qui s'emboîtent l'une dans l'autre. Une fois que les hommes sont réduits à rien, c'est la tempête qui commence; une fois qu'elle culmine, c'est la guerre qui surgit. Cette construction de Shakespeare est en soi extraordinaire.»

Déroute

Le rôle du comte de Kent, chassé par le roi, mais qui réapparaît déguisé pour le protéger, sera défendu par Jean-François Casabonne. «C'est quelqu'un qui incarne l'honnêteté. C'est un pilier de droiture, dit-il de son personnage. Dans ce royaume qui dégringole, je vois aussi le reflet de la déroute de notre société et de la corruption de nos gouvernants. Kent est celui qui ose parler franchement, qui ose dénoncer les abus du roi. Pour moi, Kent fait partie de ces gens invisibles qui font en sorte que tout ne fout pas le camp dans notre société. Il est une sorte de rempart, d'antioxydant.»

Les deux filles aînées, qui poussent leur père à l'errance, portent d'assez vilains noms, à l'image de leurs rôles d'ingrates: Gonoril et Regan. Elles seront interprétées par Pascale Montpetit et Marie-Hélène Thibault. «Je ne voulais pas que les soeurs soient un monstre à deux têtes, explique Marie-Hélène Thibault. En travaillant nos personnages, on a réussi à les distinguer et à leur donner une certaine humanité. En montrant comment elles ont pu être exaspérées par un père imprévisible, qui multiplie les crises. Mais Regan sera cruelle, c'est sûr. C'est une méchante.»

Le roi Lear a beau être une tragédie, il y a aussi matière à rire. «Il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une oeuvre baroque de la Renaissance, indique Denis Marleau. Il y a des moments grotesques et drôles. Ce qui me frappe, moi, c'est la générosité de cette pièce en ce qu'elle recèle d'émotions, d'intrigue, d'un sens du suspense. Shakespeare raconte de grandes mythologies, mais dans le détail, il y a des choses d'une grande délicatesse, d'une grande finesse, c'est ça qui est extraordinaire. Il n'y a rien d'univoque. On entend des choses triviales et magnifiques.»