L'idée de départ de Michel Tremblay ne manque pas d'intérêt: parler de la maladie d'Alzheimer, mais du point de vue du malade. Pas de son entourage. L'auteur des Belles soeurs a tissé sa toile dramatique à partir de cette proposition-là. Mais le résultat est décevant. Et L'oratorio de Noël, clin d'oeil à Bach, s'empêtre dans un dédale de relations conflictuelles, où les clichés abondent.

Tremblay, qui aime faire des sauts dans le temps, entoure son personnage principal de trois membres de sa famile - son ex-femme et ses deux enfants - mais à trois époques différentes de leur vie. Il y a donc trois acteurs pour chacun des personnages qui sont en dialogue avec le malade. Cette prémisse est assez originale, mais, une fois la mécanique mise en place, le procédé devient un peu répétitif.

Par le plus grand des hasards, le personnage de Noël, qui a la maladie d'Alzheimer, est un réputé neurochirurgien; un homme narcissique et prétentieux qui a été un mari et un père «absent», bien avant sa maladie. Sa fille voulait devenir artiste, il s'y est opposé (elle est devenue une peintre respectée); son fils voulait devenir neurochirurgien comme lui, il ne le trouvait pas assez doué et l'a toujours méprisé. Bref, un vrai trou...

Une fois tout cela établi, le texte de Tremblay est une variation sur le même thème. Et puis les tensions familiales sont tellement fortes qu'elles éclipsent tout le reste. Au fond, la pièce aurait pu se résumer au procès que subit cet homme à la veille de sa mort. Qu'il ait la maladie d'Alzheimer ou autre chose devient presque secondaire. Ce qu'on retient, c'est la souffrance qu'il a causée autour de lui.

Lorsqu'il parle de sa maladie, le personnage de Noël s'avance vers le public et s'adresse directement à nous. Pourquoi? Il y a quelque chose d'agaçant dans ces passages où il nous raconte, de façon un peu didactique, les symptômes de sa maladie, sa rencontre avec son médecin, ses trous de mémoire. On nous explique tout, tout, tout. Et même quand son ex-femme vient le voir à l'hôpital, on nous répète que c'est par compassion. Pourquoi ce besoin de tout nommer?

Les 10 comédiens défendent pourtant assez bien cette difficile partition. À commencer par Raymond Bouchard, qui a une présence et un talent indéniables. Un élément intéressant: on se demande toujours si les discussions qu'il a avec ses proches ont véritablement eu lieu ou si elles sont le fruit de son imagination. Ça, c'est plutôt intéressant. Parce qu'enfin, on crée des zones d'ombre.

La mise en scène de Denoncourt, qui s'est frotté récemment au dédoublement des personnages avec la pièce Ana, exploite assez bien l'élément-clé de ce texte, c'est-à-dire la présence simultanée de tous ces personnages. Mais son travail est étouffé par les mots de Tremblay qui ne laissent aucune place à l'évocation.

Les trois «ex-femmes» remportent clairement la palme. Kim Despatis, Monique Spaziani et Ginette Morin sont toutes très justes; des trois garçons, c'est Gabriel Lessard qui est le plus remarquable; chez les filles, les deux jeunes comédiennes Meggie Proulx Lapierre et Maude Laurendeau sont en parfaite symbiose, alors que Marie-Chantal Perron surjoue et perd la sensibilité d'artiste établie par ses plus jeunes versions.

À la fin, la maladie de Noël se détache de son histoire. Ce qu'on retient, c'est le portrait d'un homme dur et fermé d'esprit, plein de préjugés, rongé par les remords, et pourtant incapable d'admettre ses torts, même sur son lit de mort. Alzheimer ou pas, on n'a même pas pitié de lui.

Oratorio de Noël, au Théâtre Jean-Duceppe jusqu'au 11 mars.