Après avoir représenté L'Oulipo Show l'automne dernier pour ses 30 ans d'existence, UBU souligne les 10 ans de la création de la pièce Les aveugles, projection théâtrale adaptée de l'oeuvre de Maurice Maeterlinck, où Paul Savoie et Céline Bonnier interprètent chacun six personnages dans une boîte noire.

Denis Marleau ne s'en cache pas, il prend un malin plaisir à monter des pièces qu'on dit «injouables». C'était le cas de la pièce Agamemnon de Sénèque, qu'il a monté le printemps dernier à la Comédie-Française. Mais c'était aussi le cas il y a 10 ans, avec Les aveugles, de Maurice Maeterlinck, un auteur qui questionnait la présence physique de l'acteur dans une représentation théâtrale.

La pièce en un acte écrite en 1890 est pour le moins étrange. Une douzaine de personnages aveugles dialoguent entre eux, immobiles, dans une quelconque île, leur guide ne répondant plus à l'appel. Sont-ils morts ou non? On ne le sait pas vraiment. «L'histoire des Aveugles posait une question essentielle sur la manière de la mettre en scène, commence par dire Denis Marleau : comment faire jouer des aveugles ensemble dans une île, où ils ne voient rien, où c'est la nuit?»

«Au tournant des années 2000, je me suis dit : ce que je suis en train de développer avec l'image vidéo au service du personnage, je pourrais le pousser plus loin, de façon plus radicale, en sortant l'acteur du plateau, et en travaillant sur une représentation comme l'avait rêvée Maeterlinck, d'une présence humaine, mais à travers la médiation d'un masque, d'un jeu de reflets de lumière, sans la présence physique de l'acteur.»

«Maeterlinck trouvait que la personnalité des acteurs prenait énormément de place sur scène, explique Stéphanie Jasmin, qui a collaboré à la création des Aveugles. Il cherchait une autre façon de faire la médiation entre le texte théâtral et le spectateur, de manière à ce que l'on sente moins la personnalité de l'acteur, considérée comme une barrière. Malgré l'absence d'acteurs dans Les aveugles, on ressent leurs présence. C'est une expérience miroir, qui renvoie le spectateur à sa propre solitude.»

Cette idée d'éliminer tous les filtres possibles entre un texte et son lecteur ou son public, a trouvé un écho dans la recherche de Denis Marleau. «Ce qu'exprimait tout ce courant symboliste, c'était que la présence humaine pouvait être renforcée par la présence de l'inanimé, de la mort. C'est une recherche que je trouve passionnante et qui a traversé l'histoire du théâtre. L'homme s'est toujours demandé comment représenter les dieux, les esprits, les spectres, les doubles, et dès le théâtre grec, les masques sont apparus.»

Dans Les aveugles, Paul Savoie et Céline Bonnier interprètent donc ensemble une douzaine de personnages (six chacun) qui se donnent la réplique de façon simultanée, grâce à la magie de la vidéo. Seuls leurs visages apparaissent dans l'obscurité, doublés d'un masque moulé sur mesure. «Sur l'image inanimée du masque, on a projeté le visage des comédiens, explique Stéphanie Jasmin. Après, on a remis le visage dans sa forme. C'est un visage qui joue, qui parle, qui  vit.»

Cette «fantasmagorie technologique», est-ce bien du théâtre? «Moi, je crois que oui, répond Denis Marleau. Il y a un texte, une convocation et des spectateurs. Un début et une fin. En tout cas, les 700 représentations qu'on a données après notre passage au Musée d'art contemporain ont toutes eu lieu dans des théâtres. Le métissage des arts existe depuis toujours. Et puis, est-ce qu'on se demande si le théâtre de marionnette est du théâtre?»

Les aveugles, du 22 février au 11 mars au Musée d'art contemporain, salle Beverley Webster Rolph.