Un barbecue entre amis vire à la catastrophe dans Tristesse animal noir, première coproduction du PàP et d'Espace Go en 15 ans de colocation. Claude Poissant est aux commandes de ce triptyque signé par une jeune auteure allemande.

Tristesse animal noir débute comme un déjeuner sur l'herbe: six adultes - trois couples - se réunissent en forêt pour manger, boire et jaser. Entre la trentaine et la mi-quarantaine, ils ne sont plus si jeunes, pas encore vieux, et se connaissent depuis longtemps.

Qui parle avec qui? Qui nargue qui? Avec le temps qui passe et les bouteilles qui se vident, les inimitiés souterraines et les petites rancoeurs réémergent. Scénario connu? On dirait, oui. Sauf que l'auteure pousse la logique du souper d'ami qui vire mal à l'extrême: elle allume un feu de forêt. Carrément.

Claude Poissant avoue d'emblée avoir eu un coup de foudre pour ce texte d'Anja Hilling, dramaturge allemande dans la mi-trentaine jouée pour la première fois en français en Amérique du Nord. Il aime sa manière de mettre les choses en place «d'une manière presque tchékhovienne» et ce portrait d'une génération «qu'on ne voit pas beaucoup au théâtre».

Il a surtout été happé par la structure de la pièce, un triptyque dont chaque segment est distinct des autres sur le plan du style.

Après une mise en situation assez schématique, le morceau de résistance de Tristesse animal noir est un bloc narratif porté par tous les acteurs que le metteur en scène a presque le loisir de découper à sa guise.

«Pour les comédiens, c'est un travail de retenue absolue», dit-il à propos de ce passage où «l'horreur se mêle à la beauté». Ce feu n'est pas une surprise. On devine très vite qu'il surviendra. Ce qui compte, c'est ce qu'il adviendra de ceux qui y survivront. Un sort que la dramaturge raconte dans une forme que le metteur en scène qualifie de «plus naturaliste» en troisième partie.

Le cliché veut que ce soit dans les moments extrêmes qu'on découvre la vraie force de quelqu'un. Anja Hilling nuance: ce n'est peut-être pas par notre façon de traverser une épreuve, mais plutôt par la manière dont on lui survit qu'on se révèle à soi-même et aux autres. «Ce constat pose des questions sociales et morales qui sont belles», estime Claude Poissant.

L'écriture à plusieurs niveaux de la dramaturge allemande appelle bien sûr une mise en scène à plusieurs niveaux. «Je veux que ce soit clair pour les gens, assure le metteur en scène, mais, si un spectateur me lâche pendant une minute et quart, il va devoir faire un effort pour regrimper l'échelle.»

Tristesse animal noir, qui compte notamment David Boutin, Marie-Ève Pelletier et Stéphane Demers dans sa distribution, tient du théâtre d'évocation cher à Claude Poissant. «Avec internet, la télévision et la vie réelle, on a tout un catalogue d'images à l'intérieur de nous, expose-t-il. L'idée, c'est de dire au spectateur: «Choisis-les, les images.» Moi, je vais juste essayer d'allumer le bon circuit pour que tu trouves la bonne.»

Tristesse animal noir, jusqu'au 11 février à Espace Go.