«On est toujours l'étranger de quelqu'un», dit le sage. Avec Ailleurs, son solo multimédia, Kevin McCoy illustre cet adage à merveille. Autant dans son interprétation que dans sa vision de ses compatriotes du déracinement, l'acteur fait preuve d'empathie, de chaleur et d'humanité. Sa compagnie, fondée en 2006 pour cette création (présentée pour la première fois à Montréal, à La Licorne, jusqu'à samedi soir), ne s'appelle pas «Théâtre Humain» pour rien.

Ailleurs, c'est l'histoire d'un documentariste new-yorkais, Sean Devlin, qui s'installe dans la Vieille Capitale par amour pour un Québécois. En attendant d'obtenir sa résidence permanente, il doit se battre avec la lourde bureaucratie des fonctionnaires d'Immigration Canada, cumulant les permis de travail et de séjour, tout en prenant conscience de son statut d'étranger, de sa différence.

Regards étrangers

Or, en bon émule du bouddhisme, Sean n'est pas du genre à baisser les bras devant les obstacles. Vivre à Québec, plutôt qu'à Montréal, c'est avoir «la chance d'apprendre rapidement la langue, de bien s'intégrer à la culture québécoise», dit-il. Sean décide de réaliser un documentaire sur les immigrants à Québec, afin de leur faire parler de leurs expériences de vie dans un nouveau pays.

À travers les aventures de Sean, on trouve aussi de nombreux témoignages d'immigrants de divers pays: Colombie, Bosnie, Togo, Algérie, Japon, Argentine... On voit même un prêtre de Roumanie juger sévèrement André Boisclair, à l'époque de ses démêlés comme chef du PQ. Ce qui démontre que cet immigrant s'est vite adapté au politicien bashing des Québécois!

Ailleurs tient à la fois du travail documentaire et de la performance théâtrale, Kevin McCoy multiplie les points de vue scéniques. Il utilise habilement la technique et manipule sur scène caméras, écrans, projecteurs (la conception vidéo est l'oeuvre de Francis Montillaud). Récit en partie autobiographique, Ailleurs est un projet qui habite McCoy depuis la fin des années 90; «depuis le jour où j'ai rencontré le grand amour de ma vie». Dans la vraie vie, l'acteur originaire de Chicago est venu à Québec rejoindre son conjoint, un metteur en scène très occupé... ailleurs.

Isolement

L'un des moments touchants de la pièce, c'est lorsque Sean fait, par Skype, la grande demande à son chum géographe parti travailler en Islande (ce dernier refuse de se marier pour régler des problèmes avec l'Immigration). Car si au bout du compte McCoy tourne souvent en dérision ses difficultés (le comédien a un bon sens de l'humour et du punch), c'est la solitude de l'Américain qui nous touche à la fin.

Après avoir connu un deuil dans sa famille, Sean sera expulsé du pays. On le voit alors dans un no man's land symbolisant le lieu où l'on mettait en quarantaine les premiers immigrants, à Grosse Isle, sur le Saint-Laurent. Dans l'attente des nouvelles de son amoureux. Son unique havre de paix.

Ailleurs. De et avec Kevin McCoy. Au Théâtre La Licorne, jusqu'au 26 novembre. Durée: 1h45.