Il y a un paradoxe avec Mademoiselle Julie de Strindberg. C'est une pièce à la psychologie extrêmement complexe et difficile; or, depuis plus d'un siècle, c'est aussi l'une des oeuvres du répertoire les plus jouées et adaptées. En 1888, Strindberg a écrit un huis clos cruel dans lequel deux personnages de rang social différent s'affrontent, se manipulent et s'aiment dans un style très moderne (la traduction ici est celle de Boris Vian). Pour le meilleur et pour le pire...

Fille d'un comte, Mademoiselle Julie décide, en l'absence du paternel, de fêter la nuit de la Saint-Jean avec ses domestiques au château. Elle va séduire, repousser, puis tomber amoureuse de Jean, valet de chambre de son père. Jean repoussera, résistera et cédera à ses avances. L'un et l'autre ne sont pas des archétypes de leur classe: Julie est une femme lucide et fragile, dont la perversité est une arme qui provoquera son malheur. Jean est un homme ambitieux et égocentrique qui n'hésite pas à mentir pour arriver à ses fins. L'une craint la chute; l'autre veut s'élever. Si on dit que les contraires s'attirent, ils peuvent aussi se détruire.

Absence de vision

Strindberg est un auteur avant-gardiste pour son époque parce qu'il brise les frontières entre les classes, mais aussi entre les sexes. Julie a été élevée par une mère qui méprisait les hommes. Elle porte aussi un jugement très sévère sur ces derniers; ce qui ne devait pas s'exprimer souvent, à l'ère victorienne, sur les scènes de théâtre en Europe.

Pour s'attaquer à Mademoiselle Julie, en 2011, il faut avoir une vision, une lecture, un point de vue contemporain sur la pièce. Hélas! on ne trouve rien de tout cela dans la mise en scène banale et kitsch de Diane Ouimet. La pièce est montée comme un mélodrame, avec un décor rustique et laid, une musique new age et une absence de direction d'acteurs. Strinberg demande de la retenue, de l'intégrité, de la maturité. Or, ici, tout est trop projeté, appuyé, surjoué.

Dans le rôle de Jean, le très intense Bryan Morneau crie la moitié du temps, avec un débit ultra rapide. Lorsqu'à la fin de leur nuit d'ivresse et d'excès, Jean dit à Julie qu'il est fatigué et veut se coucher, on dirait qu'il vient d'avaler 10 espressos d'affilée! Marie-Ève Larivière s'en tire beaucoup mieux dans la peau de Julie. La comédienne, diplômée du Conservatoire de Québec en 2006, a du talent, une belle présence, de la justesse; mais son manque d'expérience se fait sentir, par moments, dans les monologues. Bien que jeune, Julie est un personnage souvent attribué à des actrices d'expérience (Juliette Binoche l'a joué l'été dernier au Festival d'Avignon... à 47 ans; Fanny Ardant, à 36 ans). Dommage qu'une metteuse en scène d'expérience qui a enseigné 20 ans en théâtre ne l'ait pas réalisé avant...

Mademoiselle Julie, d'August Strindberg, jusqu'au 3 décembre à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier.