Ce n'est pas à Arnolphe que Molière a accolé le sobriquet «cocu imaginaire», mais il va assez bien au personnage central de L'école des femmes. Celui-ci est en effet obsédé par l'idée d'être trompé par sa future femme et a tout mis en oeuvre pour que cela ne lui arrive pas: il l'a fait élever dans l'ignorance la plus totale, loin des galants et de l'influence des précieuses. Sauf que... l'amour a l'art d'aiguiser les esprits!

Yves Desgagnés, qui dirige la production du TNM, n'a pas emboîté le pas à Benoît Brière, Denise Filiatrault et Serge Postigo qui, ces dernières années, ont voulu ramener Molière dans le giron de la comédie populaire en flirtant avec le burlesque. Sa proposition s'appuie sur une étude de caractère sérieuse, fortement marquée par un humour qui vise plus haut que le premier degré.

Pour tout dire sans rien dévoiler, le metteur en scène joue avec l'idée du théâtre dans le théâtre, procédé qui lui permet tous les excès et des clins d'oeil à l'art de la représentation lui-même. Il manipule les accessoires et les décors avec un sourire en coin et fait louvoyer ses comédiens entre différents niveaux de jeu. Idées divertissantes, dont on ne saisit pas toujours la finalité. Il va même jusqu'à verser dans un onirisme détonnant qui, pour le pauvre Arnolphe, relève du cauchemar éveillé.

Pauvre Arnolphe? Notre cocu imaginaire demeure un grand misogyne, mais Guy Nadon fait aussi de ce piètre manipulateur un homme d'une telle fragilité psychologique qu'on ne peut pas seulement le mépriser et en rire.

Face à un Guy Nadon magistral, Sophie Desmarais tient son bout et ses promesses. Elle qui sait jouer des filles peu commodes confère une naïveté diaphane à cette Agnès qui a tout de la jeune fille cloîtrée (le costume, notamment). L'actrice est aussi d'une émouvante vérité au cinquième acte lorsqu'elle affronte Arnolphe et dit sa honte de se savoir sotte.

Le tandem pivot de cette pièce qui trouble autant qu'elle fait rire (jaune) est convaincant, donc. Ce n'est pas le cas de tous les choix esthétiques. On ne s'explique pas, par exemple, l'étonnante disparité dans les costumes et les coiffures. Pourquoi Horace porte-t-il des tresses à la Bob Marley, alors que la perruque de Chrysalde semble sortie du XVIIe siècle?

Tout n'est pas d'une égale efficacité dans cette production qui manque parfois d'élan. L'approche n'a pas non plus la radicalité de la transposition de cette même pièce dans le monde musulman présentée en 2010 à Québec. Or, des quelques Molière vus à Montréal ces dernières années, celui d'Yves Desgagnés est le plus osé et plein d'esprit.

Jusqu'au 29 octobre au TNM.