Nilo Cruz, dramaturge américain d'origine cubaine, a remporté un prix Pulitzer en 2003 pour Anna sous les tropiques. Sa pièce fait référence au célèbre roman Anna Karénine de Tolstoï (d'où le titre), mais prend surtout ancrage dans une frange de la communauté cubaine de la Floride, placée ici à un tournant de son histoire.

L'action se déroule à Orlando en 1929. La Grande Dépression n'a pas encore frappé, mais la société est déjà en mutation. La mécanisation menace les ouvriers manuels et l'essor du cinéma contribue à la popularité de la cigarette, ce qui n'est pas un détail pour une entreprise où, suivant la tradition, les cigares sont roulés à la main par des torcedores à qui on fait la lecture d'un chef-d'oeuvre de la littérature mondiale.

Ce lent basculement du monde est la toile de fond d'Anna sous les tropiques. La petite entreprise dirigée par Santiago (Germain Houde) est surtout bouleversée par l'arrivée d'un nouveau lecteur (Benoît Gouin). Sa présence, et les amours d'Anna Karénine, éveillent le désir chez Conchita (Geneviève Rochette) et suscite de la contrariété chez son mari (joué par Patrice Coquereau) et un autre torcedore dont la femme s'est justement enfuie avec un ancien lecteur...

Désir, convoitise, jalousie, appât du gain: Anna sous les tropiques réunit tous les ingrédients d'un mélodrame passionnel. La direction de Jean Leclerc (acteur québécois qui a notamment joué dans des feuilletons américains) ne fait toutefois souffler qu'une brise tiède sur ces amours enflammées. Les éléments de l'histoire sont là, mais la passion ne passe pas.

Sa mise en scène, placée dans un décor beau et éloquent signé Pierre-Étienne Locas, souffre de certains enchaînements mal calibrés et de trop nombreux fondus au noir pas tout à fait noirs pendant lesquels les comédiens ne cessent de déplacer les accessoires.

L'émotion qui aurait pu naître de deux scènes particulièrement dramatiques est ainsi complètement balayée par l'agitation qui règne sur le plateau entre les scènes.

La direction d'acteurs semble pour sa part dirigée par l'envie de montrer plutôt que de suggérer, ce qui donne notamment lieu à une scène d'amour sur une table plus ridicule que torride. Le couple formé par Germain Houde et Carole Chatel est celui qui s'en tire le mieux dans cette production où tout le monde à tendance à trop jouer franc-jeu.

Anna sous les tropiques, au Rideau Vert jusqu'au 15 octobre.