Les trois courtes formes de l'auteur et metteur en scène japonais Toshika Okada vous feront peut-être apprécier votre boulot. Ou alors vous serez encore plus déprimé à la sortie. En tout cas, certainement assommé par cette complainte oppressante, tout en étant originale et percutante.

Présenté pour la première fois de ce côté-ci de l'Atlantique, ce triptyque à mi-chemin entre le théâtre et la danse dresse un grinçant portrait des jeunes travailleurs nippons. Travailleurs précaires, désillusionnés, blasés, robotisés. Qui se heurtent à une économie en déroute. Avec comme toile de fond ces deux mots: «No Future». Dans un décor froid et aseptisé, qui ne laisse filtrer aucune lumière. Et pourtant, quelle brillante ironie!

Hot Pepper met en scène trois jeunes travailleurs qui doivent organiser une soirée pour leur collègue congédiée. Chacun, à tour de rôle, se lève pour donner son point de vue. Ces monologues, répétitifs et absurdes, tournent notamment autour du choix du restaurant. Le magazine Hot Pepper en répertorie d'ailleurs quelques-uns. Mais l'une des collègues se demande pourquoi la fête doit être préparée par des surnuméraires. Au fond, c'est aux permanents de le faire! s'indigne-t-elle. Et puis, on reprend les monologues en boucle, variations sur le même thème, avec la musique de John Cage.

Mais en même temps que les mots se répètent, les corps des comédiens s'animent dans des improvisations tout aussi répétitives, comme autant de corps désarticulés, peut-être bien tirés par des ficelles. Et pourtant, rien n'est laissé au hasard. Tous ces mouvements sont savamment chorégraphiés par Toshika Okada, qui a créé des scènes quasi hypnotiques. Tous les personnages, aux allures d'automates, s'expriment dans une langue populaire, qui serait une sorte de joual. Impossible pour nous de saisir cette nuance avec les surtitres, mais nous apprenons qu'il s'agit là d'une petite révolution dans le théâtre nippon.

La deuxième forme, Air Conditioner, est un duo encore plus absurde. Deux collègues se parlent de la climatisation de l'immeuble. La première n'en revient pas que la température soit fixée à 23 degrés. Elle gèle, ne parvient pas à se concentrer. Son collègue l'écoute, tout en gesticulant (et en échappant son paquet de cigarettes qui tombe systématique de sa poche de chemise). Il est d'accord, il fait vraiment trop froid. Il doit y avoir un coupable. Peut-être qu'il faudrait appeler la police, suggère-t-il. Encore une fois, on répète les mêmes phrases, deux, trois, quatre fois, avec de légères variations. 

La dernière forme, The Farewell Speech, fait apparaître la fameuse collègue congédiée. Celui qui pourrait être son patron ou son collègue l'invite à prononcer une courte allocution. Et elle de remercier ses collègues et son employeur pour les presque deux ans qu'elle a travaillé dans cette boîte. Et même de son superviseur qui lui a laissé un petit peu de savon pour laver son Tupperware... Puis, la jeune femme part dans une interminable diatribe sur une cigale qu'elle a écrasée avec son soulier à talon haut. Absurde, je vous dis. Mais en même temps, on voit bien la détresse de chacun de ces travailleurs automates. Cette mécanique, où même les rires sont programmés, traduit bien le sentiment d'aliénation qui les habite. 

Hot Pepper, Air Conditioner and The Farewell Speech. À la Cinquième Salle de la PdA ce soir et demain soir à 19h.