Après des années d'allers-retours en France, Daniel Danis a déposé ses valises à Québec. Cette semaine, il présente aux Montréalais sa nouvelle création, Mille anonymes, fable sur la disparition qui se déroule dans une ancienne ville minière du Québec, où 1000 habitants refusent de partir. D'où la deuxième partie du titre de sa pièce: «Hommage aux sociétés disparues».

Décidément, les anciennes villes minières ont un pouvoir d'attraction extraordinaire sur les dramaturges.

Après Temps, de Wajdi Mouawad, qui transporte le spectateur à Fermont, Villes mortes, de Sarah Berthiaume, qui campe l'une de ses quatre histoires à Gagnonville, et Bonanza, des Belges Yves Degrise et Bart Baele, qui fait le portrait de cette petite ville du Colorado (également dans la programmation du FTA) - pour ne nommer que ces trois projets -, voici que l'auteur Daniel Danis s'inspire d'une ville fantôme québécoise - qui pourrait être Schefferville - pour parler de la trace qu'on laisse derrière soi.

On le sait, plusieurs de ses pièces sont inspirées de ses rêves. Mille anonymes est la représentation d'une hallucination de l'auteur (en 1997), qu'il qualifie de moment trouble et de grâce. «Ce rêve me révélait un groupe d'individus qui s'avançait vers moi dans un brouillard opaque bleu-gris, raconte Daniel Danis, en résidence d'écriture depuis deux ans avec la compagnie de Robert Lepage, Ex-Machina. Mais le groupe s'empierrait. Une femme me tendait les bras avec difficulté pour me remettre un livre. Il y avait des mots et des chuintements, mais une volonté claire de transmettre quelque chose.»

Le rêve de Daniel Danis a éveillé des souvenirs d'enfance, du temps où il grandissait à Rouyn-Noranda. «Ça a fait écho à des impressions de jeunesse, dit-il. Mon père m'expliquait que les vibrations souterraines provenaient des mineurs qui grouillaient sous la terre dans des kilomètres de tunnels et de galeries. En même temps, comme mes parents étaient très pieux, on implorait le ciel, où se trouvait Dieu, les saints, les nuages et l'infini. Cette ligne est restée profondément inscrite en moi. Et tout ça m'a sans doute motivé à expliquer notre passage sur la terre.»

Esclaves du système

L'histoire tient en quelques lignes. Malgré la fermeture de leur ville, 1000 irréductibles décident de demeurer chez eux. Parmi eux, un journaliste doté d'un accès internet les empêche d'être complètement isolés. Mais de la mine, un jour, monte une fumée qui révèle une masse de bronze que les habitants dégagent pour découvrir qu'il s'agit d'une cloche. Cette cloche, en sonnant, pétrifie les habitants les uns après les autres.

«C'est comme si la mort venait les visiter, tente de clarifier Daniel Danis. L'idée de disparaître pourrait aussi s'appliquer à la disparition de notre langue. Le premier titre de ce projet était La cloche des anars, en référence aux anarchistes, révèle-t-il. Parce qu'il y a aussi une idée de désobéissance civile dans la pièce. On vit dans une société qui nous gouverne à outrance. On est prisonniers des banques, des constructeurs automobiles. Il faut trouver des moyens de se libérer. Nous sommes esclaves de notre système.»

La technologie, cette alliée

Ce qui anime Mille anonymes, c'est cette recherche du dernier souffle, indique l'auteur de Kiwi et Yuki. «C'est l'histoire d'un groupe d'humains qui s'éteint, et ça, c'est assez universel. Ça paraît angoissant, mais le résultat final est assez ludique. Il y a tout de même l'idée de la trace qu'on laisse derrière soi, comme humain, mais aussi comme artiste. Du temps de la vie qui passe aussi.» Les cinq acteurs qui interprètent les personnages de cette ville jouent avec de petits micros. Il y a aussi des panneaux troués qui permettent au spectateur de visionner des projections. Le tout est enrobé de musique: de vieux vinyles de Lucien Hétu et Fernand Gignac, entre autres.

Comme Lepage, Daniel Danis ne craint pas d'utiliser la technologie dans les créations qu'il met en scène. «Les nouvelles technologies ne sont pas là pour bloquer l'imaginaire, dit-il. On passe à une autre ère technologique, notamment dans les méthodes d'éclairement et de manipulation de la voix en temps réel. J'oppose toujours le monde archaïque à la technologie dans mes pièces. Dans Mille anonymes, on a travaillé avec le groupe Eski, qui fabrique de la lumière avec des micropuces, permettant ainsi de fabriquer des réponses aux mouvements humains.»

Un éclairage particulier pour ces «irréductibles combattants du quotidien» imaginés par l'auteur.

Du 30 mai au 2 juin à Espace GO.