À toi pour toujours, ta Marie-Lou a été montée au moins six fois à Montréal depuis sa création au Quat'Sous en 1971. Les quatre premières productions ont été mises en scène par André Brassard; la cinquième par René Richard Cyr, en 1996; et la sixième par Gill Champagne, il y a 10 ans.

C'est lui qui signe la mise en scène du TNM avec un nouveau quatuor : Denis Bernard et Marie Michaud, dans les rôles de Léopold et Marie-Louise; Dominique Quesnel et Èvelyne Gélinas dans les rôles des filles, Carmen et Manon.

Aussi bizarre que cela puisse paraître, c'est la première fois que Denis Bernard et Marie Michaud jouent une pièce de Tremblay. Les deux acteurs d'expérience connaissent bien l'oeuvre du dramaturge, mais c'est leur première vraie rencontre avec l'auteur.

«C'est la pièce de Tremblay que je trouve la plus forte, commence par dire Denis Bernard. Celle qui a le plus de résonance pour moi. Parce qu'elle parle d'une génération d'hommes qui sont nos pères. C'est une tragédie dans le sens noble du terme, qui met l'individu face à son destin.»

«C'est un rôle de femme extraordinaire, renchérit Marie Michaud, qui a joué un petit rôle dans Les belles-soeurs, à sa sortie du Conservatoire. Les mots de Tremblay sur la sexualité n'ont pas souvent été dits. Même aujourd'hui. Des Marie-Lou, il en existe. Quand ton professeur de sexualité, c'est l'internet, c'est difficile de croire que les filles sont nécessairement plus heureuses.»

La complicité entre les deux acteurs (qui ont grandi à Québec) est évidente. Et pour cause. Ils ont déjà formé un couple, il y a 20 ans - comme les interprètes de la création d'origine, Hélène Loiselle et Lionel Villeneuve. Ils sont restés de grands amis. «C'est sûr qu'il y a quelque chose d'instantané entre nous», précise Denis Bernard. Pourtant, c'est la première fois qu'ils se donneront la réplique... depuis qu'ils ont joué Un amour de décorateur, dans un théâtre d'été à Jonquière!

À l'inverse de Denis et Marie, les dialogues entre Léopold et Marie-Louise sont d'une grande méchanceté. «Ils sont tour à tour victimes et bourreaux, analyse Marie Michaud. Elle n'aime pas ses enfants, parce que ce sont des enfants du viol, qui lui renvoient constamment l'image de la violence conjugale qu'elle a vécue. Elle est enragée. Et elle veut le faire payer.»

«Ce qui est extraordinaire, c'est que cette histoire pourrait n'être qu'un fait divers, croit Denis Bernard. Mais tout en étant centré sur la relation du couple, l'histoire traduit bien la grande noirceur du Québec.» Michel Tremblay a écrit une scène d'anthologie où Léopold s'en prend à Marie-Lou parce qu'elle a acheté du beurre d'arachide crunchy (plus cher que le smooth). Toute la misère du couple est là. «La plus grande crise de Léopold survient durant cette scène, raconte Denis Bernard. C'est là qu'il pète les plombs. Ça devient son exutoire. Pour ne pas parler de sexualité.»

La mise en scène de Gill Champagne s'inspire bien sûr de la production qu'il a créée il y a 11 ans au Trident (qu'il dirige), reprise au Théâtre Denise-Pelletier en 2001. Mais la mise en scène a été retravaillée. Le plan d'eau qui entoure la maison familiale a été conservé. Ce qui veut dire que les comédiens joueront dans un pied d'eau. «Léopold et Marie-Louise ne se regardent jamais, comme dans la création d'origine», détaille Denis Bernard. Une des difficultés pour les comédiens d'ailleurs. «Gill les imaginait dans une sorte de purgatoire, après leur mort, comme deux âmes qui errent.»

Quant aux deux filles, représentées au présent, elles se trouvent à l'intérieur de la maison, engloutie par l'eau. Contrairement à la production de 1971, les filles se regardent et bougent à l'intérieur de la chambre dans laquelle elles se trouvent. C'est elles qui jouent l'avenir du Québec.

À toi pour toujours, ta Marie-Lou, du 3 au 28 mai au TNM.