La présence de Bertrand Cantat à l'affiche de la 60e saison du TNM a fait des vagues hier, passant près d'éclipser le dévoilement de la programmation 2011-2012 de l'institution. Et forçant l'équipe du théâtre à défendre le choix de Wajdi Mouawad de collaborer avec le chanteur condamné pour l'homicide involontaire de sa conjointe.

Lorraine Pintal et deux comédiens qui participeront à un spectacle de Wajdi Mouawad mettant aussi en vedette Bertrand Cantat, condamné en 2003 pour l'homicide involontaire de l'actrice Marie Trintignant, ont fermement défendu la présence du rockeur dans la distribution, hier.

«Je crois que le devoir du monde dans lequel je vis et duquel je veux être fière, c'est de permettre à quelqu'un de vivre sa réhabilitation dans la dignité, a déclaré la directrice artistique du TNM. Pour cette raison, oui, Bertrand Cantat fait partie du groupe de création.»

La déclaration de Lorraine Pintal, faite à l'occasion du dévoilement de la 60e saison du TNM, a été accueillie par des applaudissements et quelques bravos de l'assistance surtout composée d'artistes, mais aussi d'abonnés et de commanditaires. La directrice artistique du TNM a fait cette mise au point en raison de la violente opposition qui s'est manifestée sur les réseaux sociaux et dans certains médias à la suite de la publication d'un texte du Devoir soulignant la présence du rockeur dans le Cycle des femmes, spectacle de Wajdi Mouawad tiré de Sophocle.

Sur Twitter, le dramaturge Steve Galluccio (Mambo Italiano) a écrit le mot «dégoûtant», en relayant le texte du Devoir. «Cantat: modèle de batteur de femme qui est allé jusqu'à tuer celle «qu'il aimait». J'irai les huer, lui et Wajdi», a écrit la sexologue Jocelyne Robert. «On a eu le boycott et le soutien, des réactions excessives invitant à ne pas se présenter pour voir la pièce et d'autres beaucoup plus ouvertes», a reconnu Lorraine Pintal.

Sylvie Drapeau et Richard Thériault, seuls artisans du Cycle des femmes présents au lancement, se sont dit tous deux étonnés par la réaction des médias et des gens. Comme Lorraine Pintal, ils insistent pour dire qu'ils ne veulent pas minimiser le crime de Bertrand Cantat, mais qu'il a purgé sa peine et qu'ils appuient sa présence.

«Est-ce que parce que les gens ont commis des gestes dramatiques, avec lesquels on est socialement en désaccord, qu'il n'y a pas de pardon possible? demande Richard Thériault. C'est ça la question que ça pose, finalement.»

«Jusqu'à quand devrait-on le museler comme artiste pour le punir de ce qu'il a fait? À partir de quand il aurait le droit de reprendre sa place d'artiste dans la société? Est-ce que c'est trop tôt pour les gens?» se demande Sylvie Drapeau. Elle croit que cette réaction de «dégoût» pourrait inciter le rockeur à se faire remplacer. «Et ça va être tant pis pour vous et tant pis pour nous, parce qu'il est à sa place.»

Richard Thériault assure que Wajdi Mouawad ne cherche pas simplement à provoquer. «Je ne crois pas que ce soit de la provocation, mais de la liberté, dit le comédien. Wajdi a décidé d'appeler Bertrand Cantat parce qu'il pense que c'est l'artiste qui remplira le mandat avec le plus de précision et de pertinence.»

Ce n'est pas la première fois que le nom de Bertrand Cantat est associé à une création de Mouawad. Dans Ciels, créé au Festival d'Avignon en 2009, on pouvait entendre la voix du rockeur. Une chanson de Noir Désir, La rage, est aussi utilisée dans Temps, pièce qui sera présentée sous peu au Théâtre d'Aujourd'hui. L'annonce de la présence de Bertrand Cantat au prochain Festival d'Avignon, faite le 25 mars dernier, n'a pas, sauf erreur, suscité de tollé en France.