La compagnie Abat-Jour complète sa résidence de deux ans au Théâtre d'Aujourd'hui avec une pièce de Sarah Berthiaume, qui nous présente quatre contes, défendus par quatre comédiennes, sur le thème des «villes mortes». Avec, en prime, la musique de Navet confit et Géraldine, qui joueront sur scène.

Qu'ont en commun Pompéi, Gagnonville, le DIX30 et Kandahar? Quatre villes mortes, selon la jeune auteure Sarah Berthiaume, qui a présenté une version allégée de sa pièce au Fringe en 2009.

Les deux premières ont véritablement été rayées de la carte. On le sait, Pompéi (en Italie) à la suite de l'éruption du Vésuve en l'an 79; Gagnonville (sur la Côte-Nord) après la fermeture des mines de fer en 1984. C'est d'ailleurs avec Gagnonville que Sarah Berthiaume a démarré la création, soufflée par la révélation d'une de ses habitantes: «Je suis née dans une ville qui n'existe plus.»

Dans le cas du DIX30, c'est plus subjectif, avoue-t-elle. «Ce quartier commercial a l'air très vivant de l'extérieur, mais il est mort de l'intérieur. Le soir, c'est une ville déserte qui fait peur! C'est pour moi un monstre de la surconsommation.» Et Kandahar alors? «C'est une ville envahie par la présence de la mort», répond la jeune femme de 27 ans.

La mort est donc au coeur de ce projet théâtral divisé en quatre récits. Mais il y a plus: on y parle d'identité, de déracinement, de solitude... et de sexe. Tous les personnages se révèlent en effet par leurs relations intimes, qui leur renvoient une image d'eux-mêmes qui soulève des questionnements. Mais dans une brume opaque qui pourrait être celle d'un rêve vaguement reconstitué.

À Pompéi, une jeune fille vit une rupture amoureuse qui la pétrifie; à Gagnonville, une autre prend conscience du drame qu'a vécu son père mineur en se faisant croquer par une barmaid lors d'une soirée qui rassemble d'anciens habitants; au DIX30, le quartier est occupé par des zombies qui pourchassent l'héroïne; et à Kandahar, une Québécoise qui travaille dans un Tim Hortons, se tourne vers une sorcière afghane pour voir sa petite fille.

Dans chacune des histoires, vous l'avez deviné, il y a un volet fantastique qui relève du conte ou du mythe et que Sarah Berthiaume qualifie de «réalisme poétique». Déjà sa première pièce Le déluge après s'inspirait du conte d'Andersen, La petite sirène. Dans Villes mortes, l'auteure et comédienne fait parler le volcan, une tasse de café, des zombies, etc.

«On ne sait pas toujours ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. Et ce n'est pas important, explique-t-elle. C'est une manière de se réapproprier une théâtralité qui a un pouvoir d'évocation. Mes personnages n'ont même pas de noms. L'important, c'est de leur donner une parole, celle des filles de ma génération (Y), repliées sur elles-mêmes, en perte de repères, nostalgiques des valeurs familiales, en quête de causes communes.»

Pour donner vie à ces quatre contes narratifs interprétés en mode solo par Stéphanie Dawson, Joëlle Paré-Beaulieu, Céliane Trudel et elle-même, Sarah Berthiaume s'est tournée vers le metteur en scène Bernard Lavoie (Le projet Laramie, Extrémités).

«Je voulais absolument confier la mise en scène à quelqu'un d'autre, nous dit Sarah Berthiaume, pour avoir un regard extérieur sur ces quatre filles. Un regard masculin. Bernard a identifié un lieu commun pour relier les quatre contes: le lit. Les quatre filles nous racontent ce qu'elles ont vécu dans l'intimité de leur chambre.»

Pour bien lier les contes entre eux, justement parce qu'ils sont complètement indépendants les uns des autres, l'auteure et le metteur en scène ont fait appel à Navet confit et Géraldine pour jouer sur scène pendant la représentation. «Le disque de Géraldine, Sold Out Capitalisme, est très proche de ce que je veux communiquer. Elle va donc jouer sur scène avec Navet confit les pièces de cet album.»

Géraldine, qui fait de la chanson pop électro, porte sur scène une cagoule. Elle ne fera pas d'exception pour sa performance avec Navet confit dans la pièce de Sarah Berthiaume, qui a décidé d'en faire un accessoire scénique. Les personnages qui ne s'expriment pas sur scène porteront eux aussi des cagoules. Lorsque les comédiennes feront leur solo, elles l'enlèveront. Un élément qui, finalement, rajoutera une touche juste ce qu'il faut de morbide pour parler de ces villes mortes.

Villes mortes, au Théâtre d'Aujourd'hui du 5 au 23 avril.