Le matériau de base de Ronfard nu devant son miroir est Ronfard lui-même. Ou, plus précisément, un message que le cofondateur du NTE a laissé sur le répondeur de la compagnie après un souper bien arrosé, en août 2003, sans savoir qu'il aurait valeur de testament artistique. Il est mort trois semaines plus tard.

Ce message, Daniel Brière et Evelyne de la Chenelière, qui cosignent le texte et la mise en scène, l'exploitent habilement. Ils ne le dévoilent pas d'emblée dans son intégralité, mais le révèlent en une suite de fragments nets ou triturés, auxquels les acteurs réagissent dans une forme éclatée qui rompt avec l'idée de structure narrative.

À travers ces scènes souvent axées sur le jeu physique se déploie par à-coups une réflexion multidimensionnelle sur la filiation, le legs et la nécessité ou non de respecter les modèles. Ronfard, à la fois homme et femme, s'y affirme comme une figure caméléon : un mythe dont on suit l'enseignement, un souverain auquel on s'oppose, un père qu'on pleure et un vieux débris qu'on enferme à l'hospice.

L'enjeu, ici, déborde du domaine de l'intimité. La pertinence du spectacle tient d'ailleurs au fait que ces déchirements mis en scène de manière ludique embrassent une vision plus globale du monde.

Ils parlent de l'impérialisme des industries culturelles (symbolisé par le Cirque du Soleil), d'obéissance (aux règles de l'art ou à celles de la société) ou encore de l'héritage des baby-boomers, qu'un tandem de jeunes adultes - qui n'est pas sans évoquer l'univers de Réjean Ducharme - rejette violemment.

Les artisans réunis autour du NTE (dont les comédiens Isabelle Vincent, Claude Despins et Daniel Parent) proposent un spectacle qui a du panache et dont le sérieux est contrebalancé par une constante autodérision. Ainsi, s'ils écorchent les arts de divertissement, ils se moquent aussi des artistes qui se drapent dans la vertu sous prétexte qu'ils parlent du pauvre monde de l'Est et des tics du théâtre contemporain. «La caméra est au théâtre contemporain ce que le tutu est au ballet classique», peut-on lire sur le mur après une hilarante scène de récupération médiatique du deuil qui repose, évidemment, sur l'usage de la caméra.

Est-ce que le coup porte? Oui, puisque la liberté revendiquée (et prise) par les créateurs évite intelligemment le fouillis et donne une oeuvre fort cohérente et extravagante. Moins, si on se rappelle que, l'automne dernier, Olivier Choinière a offert avec Chante avec moi une oeuvre encore plus radicale qui, sous ses airs de chansonnette inoffensive, incitait elle aussi à réfléchir aux modèles et formats idéologique, artistique et médiatique.

Enfin, bien que le propos dépasse largement l'artiste et la personne que fut Jean-Pierre Ronfard, il est évident qu'une connaissance même partielle de son parcours augmente le plaisir qu'on tire de ce spectacle. La pièce multiplie en effet les clins d'oeil à son travail et, si elle ne constitue pas un hommage, s'avère à tout le moins un engageant témoignage d'estime.