Ce n'est pas tous les jours qu'une directrice de théâtre en invite une autre pour monter un spectacle, et y tenir l'unique rôle! C'est pourtant ce qu'a fait Denise Filiatrault, qui a convaincu Lorraine Pintal de reprendre sa pièce Madame Louis XIV, libre adaptation de la vie et des écrits de la marquise de Maintenon, Françoise d'Aubigné, femme «secrète» du roi Louis XIV.

Lorraine Pintal revit l'angoisse et le trac du comédien.

Il faut dire qu'entre ses mises en scène, son émission de radio Vous m'en lirez tant, et bien sûr la direction du Théâtre du Nouveau Monde, elle manque de temps. Sa dernière présence sur scène remonte à 2003. Elle avait accepté un petit rôle dans le Songe d'une nuit d'été d'Yves Desgagnés. Pour dire vrai, elle n'avait pas l'intention de remettre les pieds dans l'arène. Surtout pas dans un spectacle solo.

Mais tout ça a changé lorsque la directrice artistique du Rideau Vert, Denise Filiatrault, lui a demandé de reprendre sa pièce Madame Louis XIV, que Lorraine Pintal a créée en 1988 - à Fred-Barry - avec sa compagnie de l'époque, La Rallonge. «Il y a un ou deux ans, raconte Mme Filiatrault, j'ai vu que la pièce était programmée à Paris, et je me suis rappelé le concept de Lorraine, que j'avais tellement aimé. Je me suis dit que ce serait une bonne idée de la reprogrammer, d'autant plus que la petite scène du Rideau Vert se prête bien à ce genre de spectacle solo. Hier, j'ai vu un enchaînement et j'ai pleuré.»

La principale intéressée admet avoir longuement hésité avant d'accepter. «Au début, je croyais qu'elle voulait que je monte le spectacle, mais elle voulait que je joue dedans aussi! Je n'étais pas du tout certaine de vouloir embarquer dans ce projet. Finalement, je me suis laissé convaincre par Denise.»

Quinze jours plus tard, Lorraine Pintal tombait malade à Berlin - une pierre à la vésicule biliaire. Deux mois de convalescence plus tard, la directrice du TNM - qui met la dernière main à sa 20e saison! (2012-2013) - reprenait toutes ses activités, incluant ses répétitions en solitaire.

Dans Madame Louis XIV, Lorraine Pintal devient le fantôme de Françoise d'Aubigné, douce moitié du roi de France. Elle s'adresse directement aux spectateurs, qui pourraient fort bien être les pensionnaires du Couvent Saint-Cyr, qu'elle a fondé et où elle a fini ses jours après la mort du monarque. Au fond, il s'agit d'une incursion dans l'histoire de France, par le truchement d'une femme qui a vécu le règne de Louis XIV, mais aussi les moeurs et la culture de l'époque. Sur scène, trois appareils synchronisent la musique sur le jeu de l'actrice. «C'est moi qui déclenche la musique programmée par ordinateur en manipulant un fil lumineux. Il y a des partitions avec des clavecins, des flûtes, des percussions, etc. J'ai moins l'impression d'être seule sur scène.»

Les années 80

La création de la pièce, à la fin des années 80, est survenue à un moment-clé du parcours de Lorraine Pintal. «J'étais aux confins d'un questionnement, j'avais beaucoup joué, fait quelques mises en scène, je commençais à réaliser des émissions pour la télévision (Le grand remous, Montréal P.Q.), etc. J'avais besoin de prendre une pause. J'ai obtenu une bourse du Conseil des arts du Canada et je suis partie en Europe. J'ai eu envie de réaliser seule un projet. De l'écrire, le jouer, le mettre en scène.»

Lorraine Pintal voulait mettre en scène un personnage féminin historique. «J'ai pensé à la reine Élisabeth et à Jeanne d'Arc, pour faire entendre l'histoire au féminin, une histoire qu'on n'entend pas assez. Mais c'est en préparant une mise en scène des Femmes savantes, de Molière, que je me suis intéressée à la marquise de Maintenon. J'ai lu tout ce que je pouvais sur elle, sa biographie, sa correspondance. J'ai marché sur ses pas en visitant le Château de Versailles, j'ai consulté les Archives nationales. Après toute cette recherche, le personnage m'apparaissait encore plus intéressant pour le public parce qu'il s'agit d'un personnage relativement secret.»

Issue d'un milieu modeste, Françoise d'Aubigné était à la fois belle et intelligente. À 16 ans, elle épousa le poète Paul Scarron, un homme de 25 ans son aîné (malade et handicapé), qui meurt neuf ans après leur mariage. «Ce qui est intéressant, nous dit Lorraine Pintal, c'est qu'être une vieille fille ou une célibataire à l'époque de Louis XIV, ce n'était pas très bien vu, mais les veuves, elles, avaient un statut très remarqué, très respecté. Grâce à Scarron, elle a fait de nombreuses rencontres, dont celle de Ninon de Lenclos, qui aurait été son amante, des marquis, des maréchals, etc. Alors, lorsque son mari est mort, elle s'était déjà fait un nom.»

Lorraine Pintal retrace donc le parcours de la marquise de Maintenon, qui a été la gouvernante des enfants naturels de Louis XIV, avant d'épouser secrètement le Roi-Soleil en 1683. «Elle s'est hissée au plus haut rang du monde, raconte Lorraine Pintal. Et puis, elle avait à coeur l'éducation des jeunes filles. C'est d'ailleurs grâce à elle - et à son influence auprès du roi - que les filles ont eu accès à une instruction qui allait au-delà de l'économie familiale.» Évidemment, elle parle aussi d'amour. «On peut dire que c'est un spectacle féministe, dans la mesure où elle parle souvent des femmes oubliées par l'histoire. Elle était très avant-gardiste.»

«La pièce est divisée en jardins que j'arpente, qui m'ont été inspirés de la carte du tendre (carte de Versailles conçue par Louis XIV d'après les mouvements du coeur). Du jardin solitaire au Théâtre de la reine, cette carte était donnée aux amoureux. Il y avait des arrêts où les gens pouvaient folâtrer, se conter fleurette, et qui menaient au temple de l'amour, où il y avait accomplissement de l'acte. C'est en suivant cette carte que Françoise d'Aubigné se raconte.»

Madame Louis XIV, au Rideau Vert du 29 mars au 30 avril.