Un jeune homme en colère s'apprête à faire feu dans son école. Partant d'écrits diffusés par le tireur sur l'internet, le dramaturge suédois Lars Noren a façonné un solo explosif que Brigitte Haentjens pose sur les épaules de Christian Lapointe.

Christian Lapointe n'a pas l'habitude qu'on lui dise quoi faire. Directeur artistique du Théâtre Péril, metteur en scène et auteur, il pratique son art comme il l'entend et n'a pas joué sous la direction de qui que ce soit depuis 10 ans. Son ultime tour de piste en tant que simple comédien, il l'a fait en jouant l'un des protagonistes de Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès.

Il ne revient pas au jeu avec une matière plus légère. Il portera un texte que le grand dramaturge suédois Lars Noren a reconstruit à partir des confessions que Sebastian Bosse, 18 ans, a lancé sur l'internet avant d'imiter Kimveer Gill et de faire feu sur des professeurs et des élèves de son école. Il n'a tué personne, mais en a blessé huit.

L'internet étant la pieuvre indomptable que l'on sait, il est encore possible de dénicher la vidéo de Sebastian Bosse. Christian Lapointe l'a d'ailleurs visionnée. «C'est très épeurant à regarder», dit-il, avant de préciser que ce clip n'a pas été utilisé comme source d'inspiration du spectacle que Brigitte Haentjens tire de ce funeste événement.

«Tu n'arrives pas à circonscrire la pensée d'un personnage comme celui-là», ajoute l'interprète. Lars Noren, insiste-t-il, s'appuie sur les mots du jeune tireur, mais a ciselé son texte dans le but d'obtenir l'impact dramatique maximal. L'aspect le plus troublant de ce texte tient moins à son caractère véridique qu'à la manière dont il se joue du spectateur.

Plutôt que de chercher les racines d'un événement passé, Lars Noren a imaginé une pièce qui se déroule juste avant la fusillade. Ce choix astucieux place d'emblée le spectateur dans une position intenable: il n'est plus légataire d'une confession, mais témoin d'un crime sur le point de se produire. Ce détail permet à Lars Noren d'interroger, sur la place publique, notre responsabilité collective dans ce genre de tragédie.

«C'est du théâtre qui soulève des questions sociales, mais qui n'est pas du théâtre à message», fait remarquer Christian Lapointe. La nuance n'est pas accessoire pour cet ardent partisan d'un théâtre d'art. De son point de vue, Le 20 novembre est de ce théâtre «qui travaille le spectateur». L'amateur de théâtre est visé directement en tant que consommateur qui a payé sa place. Il est aussi bousculé au plan émotif puisque, tout au long de ce dur monologue, on est tour à tour dégoûté par la violence du protagoniste, puis remué par sa détresse.

Christian Lapointe se montre complètement fasciné par l'intelligence avec laquelle, dans une forme apparemment simple, Lars Noren fait dialoguer son sujet avec le geste théâtral. Brigitte Haentjens, qui monte un deuxième solo cette année après son percutant La nuit juste avant les forêts avec Sébastien Ricard, a d'ailleurs travaillé de manière à effacer le mur entre la scène et la salle. L'aire de jeu inclura donc les gradins.

Lars Noren, dans son texte, anéantit l'immunité du spectateur en le mettant face à une foule de questions balancées par son personnage. «Je pose des questions, alors j'attends des réponses», annonce d'ailleurs Christian Lapointe. Le dramaturge suédois encourage d'ailleurs les comédiens qui joueront son texte à tenter de faire réagir les spectateurs. Le protégé de Brigitte Haentjens ne sait pas à quoi s'attendre de la part du public: silence de mort ou réaction combative? «Il faut que je sois prêt à tout.»

Le 20 novembre, du 8 au 26 mars à La Chapelle.