Il y a longtemps que nous n'avions pas vu Julie Vincent, la comédienne. La dernière fois, c'était en 2006, dans sa pièce La robe de mariée de Gisèle Schmidt. Avec Jocaste, la femme de théâtre fait un retour remarqué sur les planches dans le rôle de la mère d'OEdipe, grâce à un monologue inattendu écrit par la jeune dramaturge uruguayenne Mariana Percovich.

Encore une fois, la démarche rigoureuse de Julie Vincent, qui a plongé tête première dans le mythe d'OEdipe et lu à peu près tout ce qui a été écrit sur le sujet, a porté ses fruits. Sa parfaite maîtrise de la parole de cette femme, épouse et mère, témoigne de cette recherche minutieuse qui s'est étirée sur une période de plus de deux ans. Qui donne du relief à l'histoire d'OEdipe, souvent réduite à sa relation incestueuse et à son parricide.

La mise en scène minimaliste qu'elle a elle-même réalisée avec l'apport d'Yves Dagenais est extrêmement efficace. L'utilisation de quelques rares objets, comme cette longue écharpe rouge ou alors cette fameuse agrafe qu'elle porte sur elle, et avec laquelle OEdipe se crève les yeux lorsqu'il découvre que sa femme est aussi sa mère, nous ramène constamment à elle, à son bonheur comme à son malheur.

La pièce s'ouvre sur une chorégraphie «sans paroles» projetée sur le mur de l'arrière-scène. On y voit Julie Vincent, dans un étonnant ballet avec un homme relativement plus jeune qu'elle. Le ton est donné. Puis, de façon solennelle - c'est quand même la reine de Thèbes! -, le fantôme de Jocaste nous apparaît, narrant sa vie en remontant le temps, du jour où elle s'est pendue à sa naissance, en passant par sa rencontre avec le père d'OEdipe, le roi Laïos, puis son idylle avec ce fils-époux qui lui a donné quatre enfants.

Chaque fragment de vie jette un éclairage nouveau sur ce personnage méconnu du mythe d'OEdipe, à qui Marianna Percovich donne une voix. Adaptation et extrapolation de la version qui nous vient de Sophocle, l'auteure fait bien ressortir les tourments de cette femme aux prises avec un mari (Laïos) qui préfère les garçons. Mais aussi le grand bonheur qu'elle vit avec ce nouvel époux, inespéré, qui annoncera aussi sa fin.

Julie Vincent donne beaucoup de profondeur à ce personnage souverain, qui nous fait vivre les grandes étapes de son parcours, tout en soulevant de nombreuses questions sur la réalisation des différents oracles, qui ont conditionné sa vie et celle de son fils. La comédienne s'est entourée de solides collaborateurs (André Brassard, Estelle Clareton, Geneviève Lizotte), qui l'ont aidée à construire ce spectacle quasi mystique.

Jocaste s'adresse tout de même à un public avisé, qui s'intéresse «un peu» à cette grande histoire de la mythologie grecque. Peut-être que l'équipe de création aurait pu s'attarder à restituer les tenants et aboutissants de cette tragédie? Vrai que certains passages souffrent d'une certaine opacité. N'empêche que Julie Vincent offre ici une solide performance, tout en mouvements, à un rythme qui tient presque du suspense, tout en enrichissant l'histoire d'OEdipe roi du point de vue de cette mère amoureuse.

Jocaste, jusqu'au 12 mars à Espace libre.