D'un échange épistolaire entre trois dramaturges du Liban, de Belgique et du Québec, la metteuse en scène Marcelle Dubois a tiré une pièce qui explore le rapport amour-haine avec la patrie. On profite de cette oeuvre aux multiples racines pour parler de l'homogénéité du théâtre québécois.

Ça ne saute pas aux yeux lorsqu'on s'attable avec la souriante Marcelle Dubois, mais Correspondances (rester ou partir?) est née d'un sentiment de frustration. La dramaturge, metteuse en scène et cofondatrice du Festival du jamais lu, trouve le théâtre québécois «très blanc, catholique, postrévolution tranquille, Plateau Mont-Royal». Trop La vie, la vie, en somme, et en rupture avec la réalité plurielle dans laquelle on évolue au quotidien.

Aussi, elle ne se reconnaissait pas dans ces créations qui montrent de jeunes trentenaires désorientés, qui se posent en victimes d'un éclatement du sens. «Ce ne sont pas les trentenaires que je connais, dit-elle. J'avais envie d'une oeuvre qui montre des trentenaires qui prennent position et qui ont une emprise sur leur réalité et l'évolution de leur monde.»

Elle a donc provoqué une rencontre entre trois dramaturges «pour qui être auteur est un acte d'engagement dans une société»: Olivier Coyette (Belgique), Carole Ammoun (Liban) et Evelyne de la Chenelière (Québec). Trois auteurs aux antipodes, dans des pays aux réalités bien différentes, mais où le français cohabite avec une autre langue. Marcelle Dubois a entamé un échange épistolaire, dont elle a ensuite orchestré la matière.

«Ce qui m'est apparu flagrant, c'est qu'il s'agissait de trois identités différentes et que l'écriture de chacun est marquée par cette différence», raconte-t-elle, plus de trois ans après les faits. Olivier Coyette attaque de front sa Belgique. Carole Ammoun, à l'opposé, évite de parler directement des guerres au Liban. «Mais c'est partout en filigrane dans ses textes», signale Marcelle Dubois. Evelyne de la Chenelière, elle, aurait usé d'une foule de subterfuges pour éviter de répondre directement aux questions...

Le regard de l'auteur

Pour «prendre des nouvelles du monde», comme elle dit, Marcelle Dubois a préféré s'adresser à des auteurs plutôt que de recueillir les témoignages de simples citoyens. «La force du théâtre, c'est que l'auteur y pose un regard analytique qui transforme ce qu'il voit. Ça fait en sorte qu'on a accès à une réflexion et à une compréhension du monde qui est plus large que les témoignages concrets issus du quotidien», fait-elle valoir.

Correspondances (rester ou partir?) n'a pas une forme épistolaire, assure la metteure en scène. Il en reste une prise de parole, qui sera relayée par Sounia Balha (dans le rôle de Carole), Emmanuelle Jimenez (Evelyne) et Olivier Kemeid (Olivier). Marie-Michèle Garon, elle, sera la narratrice - une déclinaison du rôle qu'a joué Marcelle Dubois dans cette aventure.

L'équipe de création, qui compte notamment deux concepteurs visuels originaires de France, a des racines dans toute la francophonie. Ce qui a provoqué des discussions et nourri le spectacle, se réjouit la metteure en scène. «Notre champ de vision doit être plus large, dit-elle encore, au sujet de l'intégration d'artisans issus de l'immigration. Le théâtre est un peu en retard là-dessus.»

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Correspondances (rester ou partir?), du 1er au 19 mars au théâtre Aux Écuries.