Pour son premier spectacle solo en carrière, Benoît Brière «chausse les souliers» d'Yvon Deschamps, pour reprendre l'expression consacrée. Un défi qui n'a toutefois rien à voir avec ses pieds. L'enjeu, ici, c'est la langue de Deschamps. L'acteur devait s'approprier ces textes sculptés par et pour la bouche de leur auteur, tout en leur donnant un souffle si nouveau qu'il soit impossible de parler d'imitation.

Avec l'appui réfléchi et sensible du metteur en scène Dominic Champagne, Benoît Brière a réussi. Haut la main. Son interprétation de l'ouvrier naïf, personnage créé dans le cadre de L'Osstidcho, ne fait pas oublier Deschamps, elle l'emmène tout simplement ailleurs. Plus près de l'intimité que du rire. À deux pas de la détresse humaine, bien souvent. Une approche qui donne une profondeur nouvelle à l'ironie spirituelle et souvent indignée du monologuiste.

L'ouvrier, qui a toujours voué un culte à ce «bon boss» qui l'exploitait sans vergogne, est sous le choc lorsque débute le spectacle. Réfugié au pied de l'escalier d'un de ces hangars si typiques des ruelles montréalaises, il répète, bouleversé et incrédule, que «le boss est mort». Ce vide, plus vertigineux que la mort de sa propre épouse, rallume une foule de souvenirs, qu'il raconte avec une lueur dans l'oeil.

Cette flamme n'a rien à voir avec la férocité malicieuse de Deschamps. C'est plutôt celle de la nostalgie, ce que des notes égrenées par un piano tristounet s'assurent de souligner. Cette atmosphère est aussi accentuée par le hangar créé par Michel Crête, mi-refuge mi-prison, au bas duquel traîne un tricycle rouge, qui évoque autant l'enfance perdue de l'ouvrier que l'existence de son fils.

Placés sous cet éclairage si radicalement différent des prestations de Deschamps, les textes ne perdent rien de leur vigueur. Qu'ils parlent d'argent, de misère sexuelle, de «l'élevage» des enfants, de la mort ou de la quête du bonheur, ces monologues, attachés de manière à faire le bilan d'une vie pas jolie, visent encore juste. En plein dans le mille, pour être précis. En insistant avec une grande délicatesse sur les failles de l'homme qui, souvent sans s'en rendre compte (d'où la drôlerie, évidemment), énonce ces vérités.

Le boss est mort n'est pas un spectacle foncièrement comique, même si les éclats de rire fusent par moments. C'est plutôt un portrait nostalgique qui, parlant du passé, montre ce qui a changé et ce qui demeure. La peur du changement, notamment, palpable dans le Québec d'aujourd'hui, qui doit s'inventer une identité composite sans renier la société dont il est issu et que cette oeuvre dépeint.

Cette plongée dans la condition humaine s'achève toutefois bizarrement sur une finale qui laisse perplexe... L'essentiel constitue toutefois une réussite: oui, les textes d'Yvon Deschamps peuvent exister sans qu'il doive les porter lui-même sur scène. À une condition près: il leur faut un interprète de la trempe de Benoît Brière, capable d'en faire une toute autre musique sans en dénaturer l'essence mélodique.

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Le boss est mort, jusqu'au 5 mars au Quat'Sous. En supplémentaire au Monument-National au mois d'avril et en tournée.