«Après ce spectacle-là, je prends ma retraite!» lance Benoît Brière. La plaisanterie donne une idée du poids qu'il a senti peser sur ses épaules depuis qu'il a accepté de jouer dans Le boss est mort, pièce à un seul personnage construite sur des monologues d'Yvon Deschamps. Une responsabilité - et un plaisir - qu'il partage avec le metteur en scène Dominic Champagne.

«C'est mon premier solo et ce n'est pas n'importe quel solo, insiste Benoît Brière. C'est l'écriture du maître.» L'envergure d'Yvon Deschamps est difficile à sous-estimer, en effet. Son humour sarcastique a fait rire, mais aussi bousculé le Québec pendant des décennies. Il a provoqué, suscité des controverses et n'a jamais perdu ce mordant et cette conscience sociale qui le distingue. Deschamps est un personnage plus grand que nature.

«On ne faisait pas toujours la différence entre le monologuiste et son personnage», souligne toutefois le metteur en scène Dominic Champagne. Une telle confusion n'a jamais existé au sujet de Fridolin, par exemple, le célèbre personnage de Gratien Gélinas. L'une des motivations derrière Le boss est mort était justement cette envie qu'avait Yvon Deschamps de savoir si ses textes pouvaient exister en dehors de lui.

Son oeuvre a fait l'objet d'une foule de disques et de DVD. Sa parole pourra donc être entendue encore longtemps. Mais demeurera-t-elle vivante sur les planches? Pour un artiste de scène, c'est une préoccupation légitime. Surtout lorsqu'on songe au silence qui entoure l'oeuvre de Marc Favreau (Sol) depuis son décès, il y a cinq ans.

«L'un des plus grands défis avec lesquels on a dû composer, dès le premier jour, c'est le fantôme d'Yvon, dit le metteur en scène. La musique de sa voix, on l'a imprimée dans le tympan comme si elle faisait partie de notre ADN.» Ce n'est toutefois pas la première fois que le metteur en scène manipule une matière qui fait partie de notre inconscient collectif: Dominic Champagne est, ne l'oublions pas, l'un des principaux architectes du spectacle Love, du Cirque du Soleil, consacré aux Beatles.

Un ton différent

Le boss est mort s'appuie sur un cycle de monologues qu'Yvon Deschamps a inauguré avec Les unions quossa donne. Ce numéro, créé dans le cadre de L'Osstidcho en 1968, s'articule autour d'un ouvrier canadien-français plutôt naïf qui voue un culte au patron qui l'exploite. «Benoît ne fait pas oeuvre de monologuiste, précise Dominic Champagne. C'est un acteur qui incarne un personnage. Dans ce contexte-là, le personnage prend toute son ampleur.»

«On a envie de reconnaître la musique d'Yvon Deschamps, mais c'est carrément autre chose, précise le comédien. Quand il a écrit Les unions quossa donne, il ne savait pas que, cinq ans plus tard, il allait faire mourir le boss. On part avec la prémisse que le boss vient de mourir. Je ne peux plus, d'entrée de jeu, interpréter Les unions quossa donne de la même façon qu'Yvon.»

L'ouvrier qu'incarne Benoît Brière est en deuil d'un homme qu'il a admiré. Cette mort colore le spectacle tout entier. Ainsi, l'humour n'en est pas le principal moteur. «On avait même un petit stress à cet égard, avoue Dominic Champagne. On se demandait si Yvon allait trouver que ce n'était pas assez drôle. Parce que le clown, de Chaplin à Deschamps, même s'il base bien des choses sur le tragique, il a envie que les gens rient.»

Nostalgique et baveux

Dominic Champagne et Benoît Brière ont travaillé en étroite collaboration avec «le maître» pour établir le texte de la pièce. Très vite, ils se sont rendu compte qu'il suffisait d'enlever quelques références trop précises pour que les monologues affichent leur caractère actuel. «Le presque cynisme d'Yvon Deschamps est encore très contemporain», estime le metteur en scène.

Toutefois, ni lui ni Benoît Brière ne croient que ce spectacle-là va brasser les choses sur le plan social. «Ça brasse des émotions, ça c'est sûr, souligne par contre le metteur en scène. On pourrait dire que, depuis 40 ans, on est passé du social à l'individu. C'est aussi ça, le show. Ce qu'on donne, c'est quelque chose de plus intime que ce qu'Yvon Deschamps a donné.»

Le boss est mort comporte une part de nostalgie avouée. Le metteur en scène en parle d'ailleurs entre autres comme d'un voyage dans un vieux Canada français qui est à la fois familier et étrange. Il n'en est pas moins pertinent, selon lui. «On est ça aussi, ajoute-t-il. On est ouverts sur le monde, mais aussi extrêmement repliés sur nous-mêmes.»

La pertinence de la parole d'Yvon Deschamps, en 2011, ne fait aucun doute pour Benoît Brière et lui. «C'est un baveux, Yvon. Le show l'est moins que ses spectacles en formule stand up, mais en tout, sa proposition dramatique est encore bien baveuse.»

Le boss est mort, du 15 février au 5 mars au Quat'Sous. En supplémentaire au Monument-national au mois d'avril et en tournée.