Il n'y a rien de «sexy» à enquêter sur l'effondrement d'un viaduc. Sexy béton, création de la compagnie de théâtre documentaire Porte Parole, n'est d'ailleurs pas un spectacle «sexy». Ni aride, d'ailleurs. Son auteure, Annabel Soutar, a fait bien mieux: partant de témoignages recueillis auprès de gens impliqués de près ou de loin dans cette tragédie, elle a construit une oeuvre nuancée et surtout profondément humaine qui scrute nos sens de l'engagement et des responsabilités.

L'argument de la pièce tient en peu de choses. Deux comédiens, Brett (Brett Watson) et Maude (Maude Laurendeau-Mondoux) décident d'enquêter sur l'effondrement du viaduc de la Concorde, qui a fait cinq morts et six blessés, le 30 septembre 2006 à Laval. Ils veulent comprendre pourquoi personne n'est nommément tenu responsable de cette tragédie. Puis, afin de venir en aide aux victimes, le tandem finit par mettre en branle les prémisses d'un recours collectif.

Sexy béton, mis en scène avec une simplicité évocatrice par André Perrier et Sophie Vajda, s'amorce sur un ton satirique. Brett ironise sur le discours officiel tenu par Pierre Marc Johnson et un syndicaliste, qu'il apparente à des propos enregistrés sur une cassette. Durant toute la première partie, tant les «enquêteurs» que les victimes se trouvent confrontés à un appareil bureaucratique sans conscience et sans visage qui fait penser à l'univers de Kafka. Mais plus la pièce s'intéresse aux victimes, plus elle se transforme en un drame shakespearien.

On peut difficilement ne pas reconnaître le monde dépeint par Annabel Soutar. Ceux qui se souviennent du passé (le viaduc de la Concorde a été construit au début des années 70) parlent de corruption à la ville de Laval, de collusion dans le monde de la construction, de la présence inquiétante de la mafia... Des allégations qui ressemblent aux grands titres des journaux québécois depuis des mois.

Le coeur de l'oeuvre, c'est toutefois le lien que tissent les comédiens avec quelques-unes des victimes de l'effondrement du viaduc. Brett et Maude veulent que justice soit faite. Quitte à s'en mêler un peu trop. Les victimes, indignées pour la plupart, aimeraient aussi obtenir réparation. Mais la vie n'est pas si simple. Elles n'ont pas les moyens d'engager une poursuite longue et coûteuse. Surtout, ont-elles la force de le faire?

Ce dilemme est résumé par l'une des victimes. Par principe, Paul Cousineau voudrait poursuivre le gouvernement. Or, il est loin d'être sûr de vouloir s'engager dans une lutte dont il ne verra peut-être pas le bout. Il ne veut pas mourir avec l'impression de laisser quelque chose en suspens. Meurtris physiquement et psychologiquement, ces gens sont forcés de soupeser leur soif de justice et leur besoin de quiétude. Hamlet lui-même ne fait pas face à un plus douloureux questionnement.

Sexy béton porte une parole d'une pertinence absolue. Sa distribution, composée de sept formidables acteurs, la relaie avec une authenticité parfois bouleversante. «En tant que société, il faut écouter», me disait la comédienne France Rolland il y a une dizaine de jours. Collectivement, nous avons un besoin urgent d'entendre ce que dit cette pièce-là. Et de nous regarder dans le miroir inquiétant qu'elle nous tend.

En français et en anglais (avec surtitres français), jusqu'au 26 février à la salle Fred-Barry.