Estomaquée que personne ne soit tenu responsable de l'effondrement du viaduc de la Concorde, qui a fait cinq morts et plusieurs blessés en 2006, la compagnie de théâtre documentaire Porte-parole a cherché à comprendre pourquoi. Sa quête de vérité a fini par se transformer en une enquête sur la justice.

L'effondrement mortel du viaduc de la Concorde a marqué les esprits. Annabel Soutar, elle, a aussi été secouée de voir la commission présidée par Pierre Marc Johnson distribuer les blâmes sans tenir personne directement responsable de cette tragédie. Plus encore, elle s'est étonnée du grand silence avec lequel la société civile a accueilli ces conclusions.

«Le fait qu'on accepte ça tellement facilement, j'ai trouvé que c'était symbolique de ce qui se passait dans la société. Il n'y a pas que les leaders qui acceptent ça. Les individus aussi acceptent qu'on puisse faire des choses et s'évader», souligne la fondatrice du théâtre Porte-parole. Elle a voulu regarder ça de plus près avec les outils qui sont les siens: des questions, des pages de transcriptions et des acteurs pour redonner vie aux témoins comme aux victimes.

Annabel Soutar a d'abord voulu interviewer Pierre Marc Johnson lui-même, puis des ingénieurs. De fil en aiguille, son enquête l'a menée chez les victimes. Elle croyait rencontrer des gens satisfaits des indemnisations reçues. «J'ai rencontré des gens en colère», dit-elle.

Les six blessés et la succession des cinq victimes de l'effondrement ont été indemnisés par la Société d'assurance automobile du Québec pour un total de près de 1,5 million. «L'un d'eux a eu 900$ et il ne peut plus travailler, soutient toutefois Annabel Soutar. Comment ça se fait?»

Porte-parole s'est toujours défini comme un théâtre engagé. Avec Sexy Béton, l'expression a pris toute sa mesure puisque, à force de côtoyer les victimes, les deux comédiens qui mènent l'enquête dans la pièce, Brett Watson et Maude Laurendeau-Mondoux, n'ont pu réprimer l'envie de les aider «à obtenir justice». La réalité a contaminé le projet initial: alors qu'Annabel Soutar croyait monter une pièce documentaire sur les causes de l'effondrement du viaduc, elle a plutôt écrit un spectacle sur cette quête de justice.

France Rolland, qui interprète quatre personnages dans Sexy Béton, confirme qu'il est difficile de ne pas se laisser emporter par un tel projet. «Tu ne peux pas rester indifférent, dit-elle. On essaie de comprendre l'autre. En tant que société, il faut écouter.» La comédienne, qui a récemment joué Médée au Centaur, admet avoir été particulièrement touchée par les victimes. «Je regarde leurs témoignages du point de vue humain: qu'est-ce qu'ils ont choisi de dire? Et pourquoi?»

Derrière ces mots, Annabel Soutar tente de déceler ce qui est caractéristique de notre époque en se souciant de ne pas juger les protagonistes. «Les acteurs sont là pour défendre les personnages, insiste-t-elle. Il est très important de laisser chaque personne se défendre sur scène et porter une partie de la vérité sociale.»

Sexy Béton, du 9 au 26 février à la salle Fred-Barry.