Après avoir produit Polytechnique, Karine Vanasse a été prise d'une envie folle d'être à nouveau simplement actrice. Aussi a-t-elle enchaîné les rôles en Europe et ici. La semaine prochaine, elle revient en force au Rideau Vert dans le rôle d'une jeune femme en colère habitée par la vengeance.

Il fut un temps où Karine Vanasse croyait que sa vie professionnelle se terminerait à 25 ans, comme les athlètes et les joueurs de hockey. Normal. Elle avait commencé aussi jeune qu'eux. Révélée à l'âge de 14 ans au cinéma dans Emporte-moi de Léa Pool, la championne de lipsync de Drummondville, fille aînée de Renée Gamache et de Conrad Vanasse, s'est aussitôt fixé des objectifs avec la ferme intention de tous les atteindre avant 25 ans.

«Dans mon esprit, la carrière d'une actrice qui avait débuté aussi jeune que moi se terminait nécessairement à 25 ans. Je ne pouvais pas imaginer que ça continuerait après!» rigole Karine Vanasse devant un grand verre rempli à ras bord d'une délicieuse concoction verte et végé.

Nous sommes dans un resto végétarien branché, boulevard Saint-Laurent, que Karine fréquente sans pour autant être végétarienne. En la retrouvant dans la salle du fond, je ne l'ai pas reconnue. Et même en prenant place en face d'elle sur la banquette, j'avais de la difficulté à concilier la Karine productrice et femme d'affaires aux tailleurs BCBG et robes glamour d'Andy Thê-Ahn, avec la jeune femme bohème de 27 ans devant moi.

Frange et cheveux longs foncés, jeans et coton ouaté ample, Karine Vanasse ressemble aujourd'hui à un croisement entre Françoise Hardy et l'égérie du cinéma indépendant canadien, la craquante Ellen Page. La ressemblance n'est pas accidentelle. Karine Vanasse vient de terminer le tournage de I'm Yours, un petit film indépendant canadien réalisé par Leonard Farlinger pour New Real Films. Elle y partage la vedette avec Rossif Sutherland, un des trois fils de Donald Sutherland.

«Ça faisait longtemps que je voulais tourner avec cette gang-là, dit-elle. C'est un petit noyau ontarien très créatif qui me fait beaucoup penser à la bande de Denis Villeneuve et d'André Turpin à leurs débuts. On a tourné le film en trois semaines à North Bay avec trois fois rien et ça m'a fait du bien.»

En revenant à Montréal, Karine Vanasse s'est empressée de cocher mentalement: jouer en anglais dans un film indépendant. Depuis un an, elle ne cesse de cocher les choses qu'elle s'était mis en tête d'accomplir et qui se sont réalisées.

Quoi d'autre à part tourner en anglais dans une production indépendante? Karine Vanasse ne réfléchit pas longtemps avant de répondre. «Tourner dans un film européen où j'aurais le premier rôle. C'est fut le cas avec Switch de Frédéric Schoendoerffer, un thriller avec beaucoup de cascades que j'ai tourné à Paris. Grâce à ce film, j'ai pu aussi cocher: ne plus avoir de complexes à tourner dans un film d'action. Quoi d'autre? Aller au Népal, j'y suis allée cet automne. Faire du théâtre. Ça s'en vient le 8 février. Revenir à la télé. Je l'ai fait avec Trauma

Ajoutez à cela des projets imprévus, mais formidables comme le tournage de French Immersion de Kevin Tierney, l'été dernier au Québec, ou celui de Midnight in Paris sous la direction de Woody Allen. Finalement, j'ai tellement coché de choses qu'après le Rideau Vert, je vais devoir me réajuster et prendre un peu de recul.»

Un rôle rock'n'roll

La première et dernière performance de Karine Vanasse sur scène date d'il y a plus de huit ans. L'actrice y interprétait le rôle d'Irma dans la comédie musicale Irma la douce, au TNM. «J'avais 18 ans, je venais de tourner Séraphin et j'étais tellement touchée que Denise Filiatrault m'ait choisie pour Irma que tout au long des représentations, je n'ai fait que penser à elle. Je voulais à tout prix lui prouver qu'elle avait eu raison de miser sur moi. Je n'ai aucun autre souvenir que celui-là.»

À la fois pour se donner un nouveau défi et pour voir si elle avait évolué depuis Irma, Vanasse a cette fois pris les devants et appelé Filiatrault pour se rappeler à son bon souvenir et lui signaler son désir de remonter sur les planches. L'info n'est pas tombée dans l'oreille d'une sourde. Denise Filiatrault l'a rappelée plusieurs mois plus tard avec le projet de In extremis, pièce de William Mastrosimone, qui avait connu un grand succès off-Broadway en 1982 avec Susan Sarandon dans le rôle-titre avant de faire l'objet d'un film avec Farah Fawcett. Vanasse a accepté d'emblée et les répétitions avec le metteur en scène Jean-Guy Legault ont débuté malgré les allers-retours de l'actrice entre Paris, North Bay et le Népal.

«C'est un gros défi pour moi. Je suis une heure et demie sur scène, sans entracte, avec une montée d'adrénaline constante. C'est physiquement très exigeant. J'ai déjà des bleus partout sur les jambes. Mon bourreau, je le roue de coups, je le traîne. Au plan émotif, c'est dur parce que les autres personnages (incarnés par Julie Perreault, Geneviève Belisle et Sébastien Gauthier) se retournent tous contre moi. C'est assez rock'n'roll comme pièce, mais disons que j'en ai vu d'autres.»

En effet. L'année dernière à pareille date, elle se préparait à tourner à Cuba Angle mort, un film d'action et de sang de Dominic James dans lequel elle campe, avec Sébastien Huberdeau, un couple en vacances dans le Sud pourchassé par un tueur en série. Le film, qui sort à la fin du mois, lui rappelle Cuba, mais aussi ses déboires avec Carole Morinville, qu'elle avait rencontrée à 15 ans par l'entremise de son premier agent et qui l'a fraudée de plus de 100 000 $. «Je partais pour Cuba, mon appartement était en vente. J'étais pressée, préoccupée, désorganisée. Elle l'a senti et en a profité. Au début, je me sentais bête d'avoir accordé ma confiance à une telle femme, mais quand j'ai découvert que je n'étais pas la seule et que ses autres victimes étaient plus âgées et expérimentées que moi, j'ai compris que face à des manipulateurs-nés qui ont des doubles vies et qui cultivent le secret, ce n'est pas toujours évident de voir dans leur jeu.»

Karine Vanasse, qui poursuit la fraudeuse et son mari, est sortie de l'épreuve moins riche et plus avisée, mais pas traumatisée au point de perdre confiance dans les autres et en elle-même. Au contraire. La confiance qu'elle irradie aujourd'hui n'est plus faite de volontarisme froid ni de détermination un brin mécanique. «Revenir au théâtre après 10 ans me force à voir le chemin parcouru. Ce que j'ai à offrir aujourd'hui, c'est plus d'abandon, d'ouverture et de confiance en moi. Avant, mon petit côté straight venait du fait que je n'étais pas sûre de moi. J'étais la bonne élève qui faisait tout comme il faut, mais avec la peur constante d'être jugée, critiquée et de rater mon coup. Or le fait qu'après toutes ces années, des femmes comme Denise Filiatrault ou Fabienne Larouche, avec qui je n'avais pas retravaillé depuis Un homme mort, me donnent une sorte de deuxième chance, non seulement ça me touche, mais ça me confirme que je ne me suis pas perdue en route.»

D'ici trois ans, Karine Vanasse espère produire le film Paul à Québec d'après la BD de Michel Rabagliati dont elle a acquis les droits. Elle aura à ce moment-là tout juste 30 ans et sans doute une foule de nouveaux défis à cocher mentalement.

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In extremis, au Rideau Vert, du 8 février au 12 mars.