La scène d'ouverture laisse présager une soirée longuette avec ses airs de colloque-conférence ou de lecture publique ou encore de répétition à l'italienne, on ne sait encore trop. Les spectateurs s'échangent des regards interrogatifs: «C'est ça, leur Projet Andromaque...»

Les huit personnages, tout de noir vêtus, prennent place autour de quatre grandes tables qui forment un immense carré. Micros et verres d'eau placés devant eux. Manuscrits ouverts. Et voilà qu'ils commencent sagement la lecture de ce grand texte de Jean Racine, déstabilisant, écrit en alexandrins il y a 350 ans. Faudra expliquer aux plus jeunes.

Peu à peu, les personnages en présence (non costumés) se lèvent, jouent debout, montent sur l'immense table de bois, qui se transforme en scène avant d'être complètement démontée. La pièce de Racine prend vie. Et nous projette hors du texte par un effet astucieux de bulles pour nous faire rêver ce drame amoureux sur fond d'intrigues politiques. En faisant une des pièces marquantes de la rentrée d'hiver.

La mise en scène de Serge Denoncourt, inventive et surprenante, sert très bien ce texte exigeant, qui n'a pas été modifié d'une seule virgule. Le mouvement des tables qui bougent sans cesse est extrêmement efficace, créant chaque fois de formidables espaces dramatiques. Et puis la disposition des sièges des spectateurs, placés de part et d'autre de la scène, nous fait plonger tête première dans ces relations passionnelles à sens unique.

L'action se passe peu après la chute de Troie, dans le royaume d'Épire où Andromaque (veuve du Troyen Hector) et son jeune fils (représenté par une poussette) sont prisonniers du roi Pyrrhus. Oreste, un ambassadeur qui représente les Grecs, lui, est épris d'Hermione (fille du roi de Sparte), promise à Pyrrhus.

Mais la mécanique des passions fait que Pyrrhus est plutôt amoureux d'Andromaque, et qu'Hermione ne veut rien savoir d'Oreste, qui tuerait pourtant pour elle...

Le plus frappant dans cette tragédie de Racine, qu'on ne monte pas souvent, est la beauté et la fluidité du texte, qui peint magnifiquement, et avec tant de finesse, les souffrances de l'amour non partagé. Tout en soulignant la primauté des intrigues amoureuses sur les décisions politiques et la raison d'État. Actuel, vous dites? On n'a qu'à penser à Maxime Bernier et Julie Couillard...

Évidemment, la pression est forte sur les comédiens pour contenir cette logorrhée de mots et lui donner un sens. Jean-François Casabonne, troublant dans le rôle de Pyrrhus, et Anne Dorval, savoureuse dans celui d'Hermione, volent la vedette au sein de cette distribution autrement inégale.

Julie McClemens, par exemple, peine à trouver le ton et la voix du personnage complexe d'Andromaque, apparaissant tantôt trop affectée, tantôt trop détachée du sort terrible qui la force à choisir entre Pyrrhus et son fils. Dans le rôle d'Oreste, François-Xavier Dufour a une belle présence sur scène, mais sa sévérité et sa fureur l'empêchent d'exprimer le côté tendre de l'amant.

Il faut dire qu'Hermione est sans doute le personnage le plus intéressant d'Andromaque. Le plus tordu et le plus perfide aussi. Du bonbon pour Anne Dorval, qui s'amuse ferme dans ce rôle dramatique qu'elle rêvait de jouer. Fendante à souhait, d'humeur totalement inconstante, et capable d'intenses moments de colère, elle charrie toutes les émotions de son personnage.

Comme toute bonne tragédie qui se respecte, la scène finale trouve son dénouement dans un bain de sang, mettant fin aux intrigues amoureuses qui s'étirent pendant deux heures. Pour la dernière scène, les tables reprennent leur forme carrée, les comédiens reprennent place autour de la table. Micros et verres d'eau placés devant eux. Manuscrits ouverts. La lecture est terminée.

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Projet Andromaque à Espace GO jusqu'au 12 février.