Une geisha d'Amérique du Nord. Une pitoune finie qui a abusé du Botox et du gym. Une transsexuelle obsédée par la finesse de sa taille, le galbe de ses hanches, la sensualité de ses lèvres, la grâce de ses gestes. Une «webcam girl» qui s'est prêtée aux plus humiliantes des bassesses pour s'offrir un corps artificiel qui n'existe que dans les albums de photos de David LaChapelle (et encore).

La singulière et troublante Nina Arsenault a atterri mardi soir sur les planches du Théâtre La Chapelle, avec son corps remodelé en Barbie, une robe de latex transparent et surtout le récit de son long voyage à destination de la perfection plastique.

Nina Arsenault, performeuse solo ontarienne qui a fait de sa vie et son corps son «propre autoportrait», nous entraîne dans son sombre univers parallèle de transsexuelle dépendante de la chirurgie esthétique extrême. The Silicone Diaries est découpé en sept tableaux qui racontent la traversée aussi angoissante que périlleuse d'Arsenault. Un long voyage au bout de soi-même raconté par une hyper-femme à la voix chaude qui bouge comme une poupée, qui débute dans un «trailer park», fait plusieurs escales sous le bistouri, se finance par le sexe sur l'internet, transite dans un bar glam à la table de Tommy Lee et s'ouvre sur une destination ultime à l'opposée de l'origine de cette démarche plastique: l'acceptation de soi.

Née petit garçon, Nina Arsenault a très jeune compris que ce qu'elle voulait le plus au monde, c'était de ressembler à une image digne des pages de Penthouse. Se transformer en «she-male» ne l'a pas satisfaite: il lui fallait atteindre l'apparence d'une Barbie. Rien de moins.

De sa vie intérieure, de ses préférences sexuelles, de ses liens affectifs, Nina Arsenault ne nous révèle rien. En revanche, elle s'épanche en détail sur son rapport intime avec le silicone, qui lui a permis d'obtenir des courbes et des seins aussi rebondis. Derrière sa caricaturale présence, un écran diffuse des photos de Nina au fil des ans et des transformations ainsi que des images explicites de procédures chirurgicales qui en disent long sur sa détermination à ressembler à une version plus plastique de Pamela Anderson.

Dans la bouche d'un travelo ordinaire, la superficialité, la futilité, la médisance sont cocasses, folkloriques même. Mais The Silicone Diaries, malgré quelques pouffements de rire provoqués ici et là, dérange surtout par la terrifiante actualité de son propos. Alors que les troubles narcissiques ne feront bientôt plus partie des maux répertoriés par le DSM, la «passion beauté» de Nina Arsenault ne s'entend pas comme une folie excentrique ou extraterrestre. On la regarde bouger de façon exquise, comme une geisha, et on y reconnaît un peu de Cher, une ombre d'Anne-Marie Losique, un battement de cil de Nicole Kidman...

Nina Arsenault est le produit d'une culture qui a glorifié les rockstars et les danseuses exotiques et persuadé les gens de suivre leurs rêves, de sans cesse repousser les limites du possible et de croire au pouvoir de la visualisation. Le petit garçon qui rêvait de ressembler à une princesse a atteint son but. Mais à présent qu'il s'est métamorphosé en Barbie, qui est Nina Arsenault?

Un cyborg, une poupée et, bien caché, un être humain qui devra apprendre à s'accepter. Et qui, comme tous les mortels, vieillira.

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The Silicone Diaries, au Théâtre La Chapelle jusqu'au 17 décembre.