Les enfants, même de bonne famille, ne règlent pas toujours leurs différends de manière civilisée. L'entrée en scène de leurs parents, pourtant cultivés et bien élevés, ne donne pas forcément des résultats plus élégants, montre la dramaturge Yasmina Reza dans Le dieu du carnage, à l'affiche depuis la semaine dernière au TNM.

Pour une raison qui demeurera obscure, Ferdinand Reille, 11 ans, a frappé Bruno Houllié au visage... avec un bâton. L'agression a bien sûr horrifié les parents de la victime. Plutôt que d'appeler leur avocat, ils ont convié les parents de l'agresseur à prendre calmement le café, pour éviter de s'engager dans une «logique passionnelle», comme le dit si bien Véronique Houllié (Christiane Pasquier).

Ces deux couples de bons bourgeois (l'un est avocat, l'autre écrivain) tentent donc de s'apprivoiser et d'aplanir les choses en marchant sur des oeufs. Le moindre faux pas - qui prend souvent la forme d'un sous-entendu ou d'un mot de trop - fait toutefois craquer le vernis de leur politesse forcée et de l'idéal bien pensant surtout porté par Véronique («Il existe encore un art de vivre ensemble, non?»). Et ça dérape. Férocement.

Le dieu du carnage donne en effet lieu à une joute verbale relevée. Les répliques, courtes pour la plupart, fusent. Les éclats de rire aussi. Si Annette Reille (Anne-Marie-Cadieux) et Michel Houllié (Guy Nadon) se montrent d'emblée diplomates, Alain Reille (James Hyndman), avocat habitué d'affronter la tempête, laissera vite paraître son énervement. Il devient frondeur et n'hésite pas à jeter un peu d'huile sur le feu.

Le malaise s'installe, pèse de plus en plus lourd, jusqu'à rendre Annette malade - littéralement. Et après un débordement spectaculaire, les masques tombent définitivement. Plus question de bonnes manières: les deux couples s'affrontent ouvertement et les conjoints se déchirent entre eux. L'impitoyable Yasmina Reza montre que l'humanisme mondain et le pacifisme cultivé, déjà incapables de sauver les apparences et la solidarité du couple, ont peu de chances de sauver le monde...

Boulevard intello à la mécanique dramatique d'une précision redoutable, Le dieu du carnage s'avère un divertissement décapant, à la fois caustique et tragique. Guy Nadon est d'une extraordinaire vérité dans la peau de Michel Houllié. D'abord accueillant, bien qu'hésitant, il se décompose presque physiquement à mesure que sa vraie nature ressort. Il forme avec Christiane Pasquier un couple plein d'une redoutable amertume. James Hyndman et Anne-Marie Cadieux, eux aussi excellents, ne s'en laissent toutefois pas imposer.

Lorraine Pintal a d'abord le mérite d'avoir réuni une distribution du tonnerre. Puis, celui de l'avoir placée dans un environnement profondément mis en scène - la scénographe Anick LaBissonnière a donné un air de tableau à ce salon bourgeois plus grand que nature -, lequel fait bien sûr écho aux attitudes des personnages. La culture peut-elle vraiment dominer la nature? On s'interroge, en sortant du TNM. Même si Yasmina Reza, elle, a déjà tranché. Avec un sourire carnassier.

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Le dieu du carnage, jusqu'au 18 décembre au TNM.