Un virus hautement contagieux sème la mort - et la panique - dans la population d'une ville sans nom. Ses habitants se nourrissent dans la méfiance tant il y a d'aliments susceptibles de les rendre malades. La peur se répand à la vitesse de l'éclair et d'habiles orateurs tentent d'en tirer profit. Jeux de massacre d'Eugène Ionesco brosse, il faut l'admettre, le portrait d'une société qui ressemble à la nôtre.

Ce virus, ce pourrait être celui de la grippe qui a suscité tant de frissons d'horreur l'an dernier. Cette nourriture qui inquiète, ce pourrait être le poisson d'élevage comme les organismes génétiquement modifiés ou la viande issue d'abattoirs géants. Ce qui fait peur? Terrorisme, corruption, catastrophe écologique, atteinte à la vie privée, criminalité urbaine... Sur ce plan, il faut avouer que notre époque se montre généreuse.

Jeux de massacre date de 1970, mais trouve, c'est l'évidence, un écho 40 ans plus tard. D'abord parce que la mécanique qu'elle met au jour fonctionne à plein régime en ce début de millénaire marqué par des tensions fortes aux plans ethnique, économique, politique et religieux, mais également parce que le dramaturge touche à une chose simple, cruelle et platement humaine: la peur de mourir. Et l'instrumentalisation de cette angoisse.

Or, si le propos a une portée réelle, la production de la compagnie Bruit public ne tire pas le maximum de la pièce. La scénographie abstraite et les costumes vieillots placent l'action dans un lieu et une époque indéfinis, imposant d'emblée une distance. Puis, la mise en scène tourbillonnante d'Éric J. St-Jean ne sert pas toujours le texte, dont les traits d'esprits, l'humour féroce et une partie du propos se perdent dans l'agitation.

L'approche caricaturale du jeu - Bruit public parle de «bande dessinée théâtrale» - donne lieu à des compositions parfois très réussies, mais la distribution s'avère franchement inégale. Ce qui ne pardonne pas quand on compte sur seulement huit acteurs pour camper toute une ville.

Que retient-on, alors, de ce Jeux de massacre? La clairvoyance d'Ionesco qui réaffirme que, même si la vie et la mort n'ont aucun sens, la peur demeure l'ennemie de la liberté d'action, de parole et de pensée. Une vérité qu'il n'est jamais inutile de rappeler.

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Jusqu'au 16 novembre à la salle Fred-Barry.