Une solide distribution de 14 comédiens - avec en tête Gérard Poirier, Normand D'Amour, Maude Guérin et Michel Dumont -, un metteur en scène aguerri (Yves Desgagnés) qui connaît bien l'oeuvre de Tchekhov, et pourtant, le texte percutant du dramaturge russe, me semble-t-il, rate sa cible.

La scène est-elle trop grande? Les personnages, trop distants? Le rythme, trop lent? La langue, inconstante? Toujours est-il que, jeudi soir dernier, ce cinquième rendez-vous avec Tchekhov n'a pas été aussi marquant que les quatre précédentes propositions d'Yves Desgagnés. Ironiquement, l'ennui des personnages de La cerisaie se répercutait dans la salle, où les bâillements ne se comptaient plus.

Je comprends le metteur en scène d'avoir instauré ce climat d'immobilisme et d'ennui profond. Car il est vrai que les personnages de La cerisaie sont paresseux, insouciants; qu'ils manquent de courage, d'élan; qu'ils sont englués dans leur passé, malheureux dans leur présent et, finalement, comme le soulignait Yves Desgagnés lui-même, «inutiles pour la société».

Toujours est-il qu'on ne s'attache vraiment à aucun personnage - sauf peut-être au vieux domestique Firs, admirablement bien rendu par Gérard Poirier, symbole d'un passé qu'on s'apprête à enterrer. Comme cette vieille maison et sa cerisaie, qui seront vendues aux enchères au grand dam de sa propriétaire, Lioubov. Au nom du progrès et de la modernité.

Sur scène, un immense tapis beige recouvre le plancher, avec, pour seul mobilier (mis à part quelques chaises et une table), une vieille armoire centenaire, elle aussi symbole d'un passé révolu. À l'arrière-scène, derrière une grande tapisserie qui sert d'écran, la très jolie cerisaie bien représentée par trois arbres en fleurs.

C'est dans ce décor épuré que se joue l'avenir de la Russie, de son élite comme de ses domestiques. Seulement, la scène nous paraît tellement grande et les personnages si éloignés les uns des autres que les répliques semblent se perdre dans ce trop grand espace. Tout comme les déplacements des comédiens.

Était-ce justement pour montrer la nécessité de combler ce vide? De manière à ce que chacun y trouve sa place? L'effet n'est pas concluant. Et rapidement, il se crée une distance entre les acteurs et le public, qui n'est peut-être pas prêt à subir l'inaction de ces personnages pendant 2 h 30.

Yves Desgagnés souhaitait que les personnages s'expriment dans notre langue. Or, les niveaux de langage sont multiples et finissent par nous dérouter. Pourquoi Firs, le valet, parle un français international, et la bonne Douniacha, un français québécois? D'un comédien à l'autre, les variations sont grandes. Pourquoi n'avoir pas simplement opté pour l'un ou l'autre?

Maude Guérin (Lioubov), une des trois comédiennes à avoir joué les cinq pièces de Tchekhov mises en scène par Yves Desgagnés, ne s'en tire pas mal. Sa présence est indéniable, mais elle déclame trop souvent son texte, fébrile, alors que le personnage décrit par Tchekhov est d'une insouciance déconcertante, même dans ses excès.

Normand D'Amour, Michel Dumont, Pierre Collin, Steve Laplante et Catherine Trudeau sont tous des acteurs doués et nous offrent bien quelques bons moments. Pourtant, on ne se sent ni ébranlé, ni interpellé, ni touché par les scènes-clés de cette Cerisaie - une comédie, faut-il rappeler - qui nous laisse de glace.

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La cerisaie, au Théâtre Jean-Duceppe jusqu'au 4 décembre.