Des dizaines d'acteurs, d'auteurs et de metteurs en scène connus sont issus de l'École nationale de théâtre. Marie-Évelyne Baribeau y est entrée près de 40 ans après que Louise Forestier l'eut quittée. Deux époques, une seule école et surtout une même quête d'authenticité.

Un «trou». C'est le mot qui vient à Louise Forestier pour décrire les locaux qu'occupait l'École nationale de théâtre au début des années 60. Elle se rappelle trois ou quatre salles d'un immeuble de la rue de la Montagne, «entre Sainte-Catherine et Dorchester», le bordel d'en face, les vieux divans verts dénichés à l'Armée du Salut, la cafétéria tenue par deux «pimbêches anglaises» et les éclopés de la guerre qui fréquentaient le bureau des anciens combattants dans le même édifice.

«On passait dans les couloirs vers 8 h du matin. En collants. Pour les vieux, c'était un bonheur!» rigole la chanteuse et actrice, diplômée de l'École nationale en 1964, deux ans après le comédien Michel Forget. Avec ses collègues, elle se sentait investie d'une mission. «On avait l'impression de faire partie d'une école avant-gardiste, se souvient-elle, on voulait montrer au monde que le théâtre pouvait être différent.»

Les lieux que décrit Louise Forestier n'ont pas grand-chose à voir avec l'institution «mythique» où Marie-Évelyne Baribeau a fait son entrée en 2003. Le 5030, rue Saint-Denis, où loge l'École nationale de théâtre depuis 1970, possède en effet des locaux spacieux et abondamment fenestrés, dispose de zones de repos et d'un café tenu par un sympathique Marocain.

«Pour nous, c'est beaucoup plus facile», estime la jeune comédienne qui joue Linda Lauzon dans le théâtre musical Belles-soeurs depuis mars dernier. De fait, la formation est offerte dans de meilleures conditions et la structure construite autour des métiers du théâtre (l'avènement des agents d'artistes, notamment) peut leur faciliter la tâche.

Aussi, les élèves d'aujourd'hui peuvent compter sur un système de prêts et de bourses qui n'existait pas à l'époque où Louise Forestier a fréquenté l'École nationale. Un coup de pouce majeur quand on doit débourser des frais de scolarité importants: d'environ 700 $ au début des années 60, les droits annuels passeront à 4500 $ pour l'année 2011-2012.

Institution influente

Selon Louise Forestier, l'École attirait «les rebelles» durant ses premières années d'existence. Elle s'est imposée au fil des décennies suivantes comme une porte d'entrée privilégiée pour pratiquer le métier d'acteur et nombre de vedettes du théâtre, du cinéma et du petit écran québécois en sont diplômés, de Gilles Renaud à Sylvie Drapeau, en passant par Roy Dupuis, Élise Guilbault et Benoît Brière.

D'où son rayonnement - bien au-delà du domaine du jeu - et la féroce compétition pour y entrer. D'environ trois candidats pour chaque place en 1960, le rapport est passé à 17 aspirants pour une seule admission en 2007. Si Louise Forestier a été recrutée après avoir donné la réplique à une amie, Marie-Évelyne Baribeau a fait comme tous les jeunes qui rêvent aujourd'hui de devenir comédien: elle s'est présentée dans les cinq écoles de la grande région de Montréal et s'est croisé les doigts.

«L'École nationale était mon premier choix. C'était mythique pour moi», dit-elle. La jeune comédienne estime qu'un diplôme du Conservatoire d'art dramatique ou de l'École nationale constitue une excellente carte de visite. «Il y a un important roulement de professeurs et de metteurs en scène. On rencontre des gens qui sont sur le marché, qui travaillent et nous donnent du travail après, fait-elle valoir. Des gens allumés.»

«On n'avait pas beaucoup de professeurs, mais on en avait des bons», dit pour sa part Louise Forestier, citant Jean-Pierre Ronfard (Théâtre expérimental de Montréal, NTE, etc.) ainsi que l'acteur et scénariste Marcel Sabourin, qui fut également parolier de Robert Charlebois (diplômé de l'École en jeu, en 1966).

Marcel Sabourin a fait faire de l'improvisation à ses élèves. Un geste libérateur pour certains des aspirants comédiens qui s'embourbaient dans du Molière et du Giraudoux. «Ce n'était pas seulement les acteurs qu'on découvrait, mais notre langue et son caractère théâtral, s'enthousiasme Louise Forestier. Michel Tremblay n'avait pas encore écrit. La seule façon de faire du théâtre québécois, c'était d'improviser.

«On a trouvé un sentiment d'appartenance dans cette langue-là, dit encore la chanteuse. C'est sans doute pourquoi on a fait L'osstidcho en sortant de l'École.»

La vie après l'École

Décennie de l'irrépressible éveil de la génération du baby-boom, les années 60 furent exaltantes pour Louise Forestier et ses collègues, qui avaient tout à construire. Le rêve ne semble pas aussi grand pour la génération de Marie-Évelyne Baribeau. «Mon rêve, c'est de ne pas tomber dans la téléréalité», affirme-t-elle.

La jeune actrice désire surtout contribuer à ce que le théâtre demeure un mode d'expression authentique. «Ce à quoi j'aspire, c'est à travailler, mais dans le bon sens. Pas pour me faire connaître», dit-elle, en précisant qu'elle ne souhaite pas figurer au sommet du star système.

Les époques ne se ressemblent guère, mais en 2010 comme en 1960, faire le choix d'être comédienne, c'est se lancer dans le vide. Et espérer avoir une vie d'artiste après les années excitantes et exigeantes passées presque en vase clos à l'École nationale.

«C'est notre devoir d'aller frapper à la porte des metteurs en scène. Et on se le fait dire à l'École», affirme Marie-Évelyne Baribeau. Elle s'est manifestée auprès de René Richard Cyr avant de décrocher un rôle dans Belles-soeurs. Louise Forestier, elle, se rappelle avoir fait «la rune des couloirs» à Radio-Canada pour se faire connaître des réalisateurs de l'époque. «Je me suis monté un tour de chant en attendant que le téléphone sonne, rappelle-t-elle. C'est comme ça que je suis devenue chanteuse.»