Tous les prétextes sont bons pour jouer Tchekhov, si on en croit l'un de ses plus ardents défenseurs, Yves Desgagnés, qui monte sa cinquième pièce du dramaturge russe, dans la foulée du 150e anniversaire de naissance de celui que le metteur en scène n'hésite pas à qualifier d'«auteur québécois».

Depuis qu'il a monté sa première pièce de Tchekhov en 1993, - mémorable Ivanov avec un immense champ de maïs pour décor et une éclatante distribution menée alors par Gilles Renaud -, Yves Desgagnés, n'a jamais cessé de replonger dans le répertoire de l'auteur russe.

Ont donc suivi Les trois soeurs, Oncle Vania et La mouette. En vérité, il ne manquait que La cerisaie, dernière pièce écrite par Tchekhov avant de mourir en 1904, pour compléter son tableau des cinq pièces qu'il considère être les plus «grandes» de tout ce que l'auteur a écrit sur le théâtre.

«Ça m'a pris 10 ans pour convaincre un directeur de théâtre de monter Ivanov, se souvient Yves Desgagnés. On me disait que Tchekhov était un peu «plate», qu'il ne se passait pas grand-chose dans ses pièces. Alors que c'est faux! Son théâtre est d'une grande vitalité et d'une grande humanité.»

Mais comment expliquer la fascination et la passion renouvelée d'Yves Desgagnés pour l'oeuvre de Tchekhov, dont il est aujourd'hui considéré comme l'un des «spécialistes»?

«Je n'ai jamais rencontré un auteur qui a dit plus de choses sur notre monde actuel qu'Anton Tchekhov, répond-il. Sur l'environnement, la santé, la vie, la mort. Une société saine devrait toujours avoir un Tchekhov à l'affiche. Parce qu'il nous rappelle constamment à l'ordre. Il a dit et dit toujours que les gestes que l'on fait aujourd'hui ont et auront des conséquences dans 100 ou 200 ans.»

Impossible de ne pas faire un parallèle entre la société dépeinte par Tchekhov dans son oeuvre et la société québécoise, deux peuples aux origines paysannes et agricoles, avec à peu près le même climat, qui, à différentes périodes de leurs histoires respectives, ont été confrontés au passage obligé vers la modernité.

«Absolument, acquiesce Yves Desgagnés. D'ailleurs, je suis convaincu que Tchekhov est un auteur québécois. Et qu'un jour, ça se saura, blague-t-il. La société dont il parle, c'est exactement celle dans laquelle j'ai grandi. Une société qui se plaint continuellement, qui chiale et qui n'agit pas. À travers son oeuvre, Tchekhov nous dit qu'on vit mal, que nous sommes cupides, paresseux, égoïstes. Il nous invite à agir.»

Mais, revenons à La cerisaie, une comédie dramatique qui sera défendue chez Duceppe par 14 comédiens, dont Maude Guérin, Michel Dumont, Normand D'Amour et Gérard Poirier. Avec des costumes qui représentent bien l'époque; dans un décor qu'on nous annonce simple, mais visuel, et où l'accent sera mis sur le rythme des échanges.

La difficulté de la pièce, selon le metteur en scène, réside dans le fait qu'on retrouve souvent une dizaine de personnages sur scène en même temps. Des aristocrates, des commerçants, des domestiques. «Ça prend beaucoup d'habiletés d'acteur et je dirais aussi une compréhension de la vie, de la mort. Il faut construire son personnage comme un oignon. Plus t'as de pelures, plus c'est du Tchekhov. Il ne faut rien échapper.»

La cerisaie - perçue par certains comme une métaphore de la Russie - évoque la fin d'un monde construit sur l'esclavagisme, qui sera bouleversé par la première révolution de 1905. Yves Desgagnés rappelle que la pièce est une comédie, en dépit du drame vécu par cette femme insouciante de l'aristocratie (Lioubov), qui croule sous les dettes, et qui perdra sa maison et son terrain, incluant une vaste cerisaie, au profit d'un commerçant d'origine paysanne, Lopakhine, ami de la famille.

Le texte aura une couleur québécoise puisque la traduction a été faite à partir du texte d'origine par Élisabeth Bourget. «Tout théâtre classique qui n'est pas français, a malheureusement toujours transité par la France, explique Yves Desgagnés. Et le théâtre de Tchekhov est tout sauf parisien. J'ai donc demandé à Élisabeth et aux acteurs de ne pas jouer avec un accent français. On parle comme je vous parle.»

Avec cette Cerisaie québécoise, on peut donc dire qu'Yves Desgagnés pose la dernière pierre de l'oeuvre théâtrale de Tchekhov.

«Je les ai montées par nécessité, conclut-il. Mais je n'aurais pas pu faire La cerisaie si je n'avais pas monté les quatre autres d'abord. Parce que c'est la plus complexe de ses pièces. C'est une pièce-bilan, qui résume bien toutes les valeurs auxquelles il croyait.»

La cerisaie, du 27 octobre au 4 décembre, au Théâtre Jean-Duceppe.