Deux visions du théâtre de Goldoni nous ont été offertes au cours des dernières semaines. Toni Servillo a présenté il y a 15 jours une grave, propre et très classique Trilogia della Villeggiatura. Serge Denoncourt, lui, fait exactement le contraire avec Il Campiello. Sa mise en scène vivante et agitée sent même l'alcool et le sexe.

Un «campiello», comme l'explique un personnage poudré au début du spectacle, c'est une petite place publique sur laquelle donnent les portes et les fenêtres des habitations qui la bordent. Goldoni a placé autour de la sienne une faune truculente: trois filles à marier, deux prétendants, trois mères mi-maquerelles, mi-chaperonnes et un sévère tuteur. Un étranger d'apparence noble, de passage pour le carnaval, vient bousculer l'ordinaire de cette populace.

Il Campiello, comme La trilogie de la villégiature, évoque la fin d'une époque, c'est-à-dire une Venise qui s'enfonce dans la décadence. Serge Denoncourt s'en est donné à coeur joie et en a fait un spectacle quasi orgiaque: les personnages mangent et boivent à l'excès, jouent, se chamaillent, se courtisent et ne se gênent surtout pas pour se peloter. Une illustration pleine de vie de la promiscuité dans les quartiers populaires, mais aussi de l'urgence de vivre.

Humour burlesque

Tournant le dos au Goldoni «joli», le metteur en scène en souligne à gros traits le côté populaire et en évacue presque tout raffinement esthétique. Le décor évoque un quartier vraiment pauvre. Les costumes paraissent défraîchis, sinon franchement sales. Les vieilles mères (Adèle Reinhardt, Annick Bergeron et Louise Cardinal) sont tellement grimées qu'elles pourraient passer pour des sorcières. Seule la beauté des filles à marier (Stéphanie Labbé, Marie-Laurence Moreau et Magalie Lépine-Blondeau), qui attendent leurs noces dans de jolies robes blanches, est mise en valeur.

Mais c'est le ton du spectacle qui en fait la force. Avec un culot qui l'honore, le metteur en scène plonge dans un humour burlesque. Il prend aussi un malin plaisir à mettre des gestes éloquents sur les sous-entendus grivois, forçant aussi joyeusement le trait pour souligner l'hypocrisie ou l'envie. L'approche commande évidemment un jeu très physique, qui semble un jeu d'enfant pour cette distribution virtuose, complétée par François-Xavier Dufour, Jean-Guy Viau, Luc Bourgeois et Olivier Morin.

On s'esclaffe à profusion devant ces scènes osées et caricaturales. Or, si le spectacle est à ce point réussi, c'est que cet humour cru est soigneusement calibré (oui, il y a un crescendo dans la vulgarité) et aussi mêlé à une ironie plus subtile et à des clins d'oeil anachroniques très deuxième degré. Par moment, on en vient même à penser que ce Goldoni-là se déroule dans le village d'Astérix.

L'opération de «salissage» s'avère d'une vivacité exemplaire. Qui plus est, l'habile metteur en scène réussit son coup sans même gommer l'aspect grave de la pièce qui s'achève sur un sourire triste. On aura du mal à voir un Goldoni précieux et joué en beaux habits après avoir vu celui-ci.

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Il Campiello, jusqu'au 30 octobre à la Cinquième salle de la Place des Arts.