Le point de départ de cette nouvelle extraite des Drames de princesses, de l'Autrichienne Elfriede Jelinek, est quand même audacieux, pour ne pas dire présomptueux. Dans la mesure où l'exercice consiste à s'insinuer dans la tête d'une femme pour en extirper ses pensées.

L'auteure de La pianiste a voulu percer l'armure de Jacqueline Kennedy, dont on ne sait effectivement que peu de choses en dehors de cette image «papier glacé» qu'elle a laissée derrière elle. Pour cause, puisqu'elle a toujours gardé sa vie privée très privée, tout en choisissant l'image qu'elle voulait rendre publique. L'image de la perfection.

La mise en scène de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin nous propose ainsi un véritable voyage dans la tête de cette femme apparemment insondable, qu'on découvre à la manière d'une poupée russe qu'on déboîte sans fin... Mais pour y trouver quoi? En vérité, pas grand-chose, à part une autre poupée russe, plus petite.

Sylvie Léonard fait corps avec cette Jackie un peu amère et joue habilement cette image lustrée, impénétrable, qui se ressaisit toujours après avoir donné des fragments de sa pensée profonde, librement interprétée par Jelinek.

L'auteure de Jackie laisse à peine entrevoir les sentiments humains de la veuve de JFK, par exemple le jour de l'assassinat de son mari, ou encore dans sa rivalité avec Marilyn Monroe. Dans ces moments de «vérité», on parvient à effleurer le personnage. Mais on reste un peu sur sa faim.

Suivie pendant toute la durée de ce spectacle solo par un caméraman qui la filme sur scène et dans les coulisses, où elle change plusieurs fois de vêtements, Sylvie Léonard joue parfaitement l'image de cette Jackie qu'on traque. Cette image nous est d'ailleurs retransmise sur un grand écran suspendu au-dessus de la scène. En noir et blanc.

L'effet est plutôt réussi. Et Jackie nous revient chaque fois encore plus étincelante que la fois précédente, passant de son tailleur Chanel rose à une tenue estivale avec des rayures bleues ou à une robe de mariée, toujours avec la calme froideur qui caractérisait l'ex-première dame des États-Unis.

Mais cette mécanique finit par créer une espèce de monotonie dans le ton, et dans l'action, inexistante. Jackie était-elle vraiment prisonnière de son image? C'est l'hypothèse de Jelinek, qui nous fait un portrait-robot d'une femme à la limite désincarnée. La réalité est sans doute plus complexe.

En tout cas, son rapport à l'image et aux vêtements - qui revient de façon systématique - m'a semblé exagéré, voire lassant. «Je suis mes vêtements et mes vêtements sont moi»; «je cherche à faire croire que je n'ai pas de corps»; «pour captiver les autres, il faut être captif de soi-même»; «les vêtements sont morts, c'est la femme qui les anime», fait dire Jelinek à sa froide héroïne V.I.P.

Cette obsession pour l'étoffe, une façon de se faire remarquer, admirer ou aimer, est une hypothèse qui se vaut, mais elle nous renvoie toujours l'image propre de cette Jackie «poupée». Tant qu'à sonder les profondeurs de son âme, on aurait souhaité faire plus ample connaissance avec la femme derrière l'image.

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Jackie, jusqu'au 30 octobre à Espace Go.