Novecento, Soie et maintenant Le fusil de chasse, plaquette de 87 pages qui donnera naissance à une pièce intime à deux comédiens. D'un autre côté, le metteur en scène et cinéaste se lance dans une nouvelle et colossale aventure new-yorkaise avec le Cirque du Soleil. Entrevue avec un homme de théâtre qui navigue avec bonheur entre la simplicité des planches et la «monstruosité occasionnelle» de la machine circassienne.

C'est d'abord le metteur en scène de théâtre que nous rencontrons à l'Usine C, un mercredi matin. Le «roi de la plaquette» explique que son attirance pour des oeuvres toutes bien ramassées n'est pas un hasard.

«Au cinéma ou au théâtre, lorsqu'on part d'un roman touffu de 600 pages, on se retrouve dans une position de réduction, d'appauvrissement de l'oeuvre, explique-t-il. Mieux vaut partir d'une nouvelle ou d'un entre-deux, comme le roman bref. Toutes les pièces de théâtre sont des plaquettes, d'ailleurs. Ce sont elles qui prennent le moins de place dans ma bibliothèque!»

Le Japonais Yasushi Inoué (1907-1991), poète, romancier et journaliste, a d'ailleurs plutôt écrit des briques que des plaquettes. Ses romans et nouvelles, à saveur souvent historique, lui ont valu de nombreux prix littéraires. Le fusil de chasse, publié en 1949, est composé de trois lettres, adressées au personnage central, Josuke Misagi, homme d'affaires et chasseur. La première vient de la fille de sa maîtresse, Shoki. La deuxième est de sa femme, Midori, et la troisième a été rédigée par sa maîtresse, Saïko, morte d'amour.

«C'est Wajdi Mouawad qui a glissé le livre dans ma poche, pour m'inspirer un projet de film, raconte François Girard. Quand je l'ai lu, j'ai immédiatement vu que ce n'était pas un film, mais une pièce de théâtre en trois monologues. Au cinéma, ça pourrait seulement se faire au Japon, avec des acteurs japonais. Rendu là, pourquoi pas avec un réalisateur japonais aussi! C'est un roman fondamentalement japonais, empreint de réserve et de tradition, qui parle d'émotions cachées, de trahison, d'honneur, de suicide.

Sur la scène, les trois femmes seront incarnées par une seule et même comédienne: Marie Brassard. Josuke sera également présent, sous les traits de Rodrigue Proteau. «Rodrigue fait partie du projet depuis le début. C'est lui qui a inspiré la mise en scène. Marie, je l'attrape à un moment d'ouverture complète, où elle est riche de toute l'expérience théâtrale qu'elle a vécue avec ses propres one-woman shows

Pour François Girard, la «soliste» de Jimmy, Peepshow et L'Invisible est une virtuose, une acrobate des mots et du jeu rigoureuse au même titre qu'un Yo-Yo Ma jouant les suites de Bach et qu'une téméraire trapéziste du Cirque.

«Je suis admiratif devant tous ces gens-là. Dans mon métier, c'est facile de frimer, de se cacher derrière le talent des autres. De travailler avec des gens qui se dépassent, qui peuvent consacrer une vie entière à la répétition du même geste, ça me rappelle à l'ordre, à la rigueur.»

Au Cirque du Soleil, le metteur en scène baigne quotidiennement dans cette volonté de dépassement. «Mon travail, c'est de mettre en valeur l'improbabilité d'un numéro d'acrobate, qui s'exécute sans filet, dans la plus grande vérité.»

Le spectacle qui prendra l'affiche du Radio City Music Hall, à New York, au mois de juin, évoquera l'âge d'or du cirque. Dans un vieux théâtre décrépit, un magicien cherchera ses pouvoirs magiques, disparus avec sa bien-aimée. «Ce sera un spectacle délirant, un peu fou, un peu stone», décrit le maître d'oeuvre.

En attendant de sauter à pieds joints dans la folie, l'homme de théâtre se recentre, revient à l'essentiel: le jeu, le texte, le public. «C'est pour moi un exercice très sain. Dans une petite production comme Le fusil de chasse, je ne peux pas me cacher derrière les pirouettes et les grandes images.»

Le fusil de chasse connaîtra également une version japonaise, avec la comédienne Miki Nakatani (Soie), qui sera présentée à Montréal quelques soirs, en septembre 2011. Entre les deux, le cinéma occupera également une petite place dans la vie de François Girard, qui est en pleine écriture d'un film d'acteurs (québécois).

Et ces jours-ci, il est où, le touche-à-tout? À New York, pour voir la mise en scène de son compatriote Robert Lepage (Das Rheingold), qu'il a pris l'habitude de croiser dans les couloirs du Cirque et du Metropolitan Opera.

Le fusil de chasse, adapté du roman de Yasushi Inoué par Serge Lamothe, mise en scène de François Girard, à l'Usine C du 1er au 16 octobre.