Créée au mois de mars en Suisse par la compagnie de théâtre performatif Système kangourou, Mobycool -une véritable marque de frigo- est le résultat d'une longue réflexion sur notre quête de bonheur, laquelle répondrait à un besoin obsessionnel: combler le sentiment de vide qui nous habite.

«Mobycool vient clore notre chantier sur les Amériques», indique d'entrée de jeu l'auteure Anne-Marie Guilmaine, qui signe la cinquième production de Système kangourou, qu'elle a cofondé en 2006 avec Claudine Robillard et Jonathan Nadeau, à sa sortie de l'UQAM.

Construite à la manière d'un journal de voyage, cette nouvelle création qualifiée de «patchwork d'observations sur les Amériques», se décline en cinq récits de rencontres -certaines déterminantes, d'autres pas- inspirées des périples d'Anne-Marie Guilmaine et sa complice Claudine Robillard.

Ce «chantier» a d'abord pris la forme d'une installation baptisée 24 heures d'errances en Amérique, assemblage de photos et de vidéos prises dans l'Ouest canadien, aux États-Unis, mais aussi dans les pays de l'hémisphère sud: en Uruguay, au Mexique, en Argentine et au Brésil, par où sont passées ces deux filles allumées qui se réclament de la génération Y.

Toutes deux détentrices d'une maîtrise à l'UQAM, elles ont ensuite participé à une lecture publique d'une première version de Mobycool présentée au Festival du Jamais lu en mai 2009. Quelques mois plus tard, elles ont présenté une performance théâtrale de ce texte au Festival TransAmériques.

La version bonifiée de Mobycool, qui nous sera offerte à La Chapelle, est donc la synthèse de chacune de ces étapes, motivées chaque fois par le désir de mieux cerner le sentiment de vide ressenti par les deux jeunes femmes, adeptes d'un théâtre physique, qui mêle danse, musique et performance.

«Il y a une pression énorme pour qu'on soit heureux, détaille Anne-Marie Guilmaine. Nos besoins primaires sont comblés, on ne connaît pas la misère. On a donc le devoir d'être heureux! Et pourtant, nous ne le sommes pas. Le bonheur est toujours ailleurs. Notre seul espoir est de nous tourner vers les autres. Pour sortir de notre narcissisme.»

La métaphore du frigo n'est pas un hasard. Mobycool est en effet une marque de glacière, transformée ici en un symbole fort de notre société de consommation. Il y aura ainsi sept électroménagers sur scène (cinq frigos et deux laveuses). Mais, nous disent les deux complices des Kangourous, «les frigos sont vides».

«Le frigo nous permet de parler de notre sentiment de vacuité, explique Claudine Robillard. On vous reçoit, vous les spectateurs, mais qu'est-ce qu'on va vous offrir? On vous ouvre nos portes, on voudrait bien vous servir, mais on n'a rien à donner, on ne sait même pas qui on est ou ce qu'on veut...»

Inspirée de l'essai, Le bonheur paradoxal, Anne-Marie Guilmaine s'est beaucoup questionnée sur notre quête de bonheur et de plaisir. «Comment se fait-il qu'il y ait une telle carence affective et un tel manque d'estime de soi dans notre société? demande-t-elle. Comment se fait-il que le Canada soit un des pays avec le plus haut taux de suicide? Ce paradoxe entre notre confort et notre détresse me fascine.»

Chacune des rencontres narrées dans Mobycool est une confrontation avec soi-même, poursuit Anne-Marie Guilmaine. «Comment parvenir à être authentique face à soi-même? Comment rester soi-même tout en allant vers l'autre? Les gens se réconfortent avec des objets parce qu'ils ont trop peur d'entrer en contact avec les autres...»

Ainsi, croisera-t-on dans un bus une Chinoise blonde avec une photo de ses ancêtres, de modestes pêcheurs; une femme qui veut changer de rire et qui invite le public à voter pour le rire qu'il préfère; un homme égaré en quête de repères qui regrette de ne pas être une minorité visible; une femme qui doit subir l'ablation d'un sein, un suicidaire, etc.

«L'Amérique est encore perçue comme un Eden, concluent Anne-Marie Guilmaine et Claudine Robillard. Mais derrière le sourire parfait de l'hôtesse, tout est fissuré.»

Mobycool, au Théâtre La Chapelle du 23 septembre au 2 octobre.