Le sang des promesses, trilogie de Wajdi Mouawad qui rassemble Littoral, Incendies et Forêts, est un long voyage qui plonge dans la noirceur pour aller vers la lumière. Faisant le chemin inverse, près de 1400 personnes se sont engouffrées dans le Théâtre Maisonneuve dimanche sur le coup de midi pour n'en ressortir que 12 heures plus tard, peu après minuit, après avoir vécu une grandiose épopée baignée de sang qui s'est achevée sur une ovation longue, bruyante et, ce n'est pas si courant, gorgée de sincérité.

Les trois segments du Sang des promesses, créés entre 1997 et 2006 avant d'être rassemblés en un spectacle-fleuve l'an dernier, forment un récit multiple sur la quête des origines. Il y a d'abord Wilfrid (Emmanuel Schwartz), étranger dans le pays de son père à qui il cherche à donner une digne sépulture. Puis Simon (Jocelyn Lagarrigue) et Jeanne (Isabelle Leblanc), partis à la recherche de leur père et de leur frère. Enfin, il y a Loup (Marie-Ève Perron), poussée à dénouer les fils de son histoire familiale, symbolisés sur scène par un enchevêtrement de gigantesques cordons ombilicaux.Héros récalcitrants, ils creusent le passé, déterrent les silences, les promesses tenues ou non, les trahisons et les amours, presque toujours mises à mal par les familles, la maladie ou les hoquets meurtriers de l'Histoire. Ils suivent des pistes qui traversent plusieurs des grandes guerres du XXe siècle, passant notamment par les geôles obscures d'un pays où il ne pleut jamais et une fosse commune du camp de Treblinka.

La violence faite aux femmes

Le sang des promesses, dans son ensemble, raconte d'abord l'horreur. Des siècles de violence faite aux femmes, à commencer par ces enfants de l'amour qu'on leur arrache jusqu'au massacre de Polytechnique. Des siècles de viols et de meurtres perpétrés par les hommes, qu'ils soient industriels, utopistes ou snipers. Mais cette noirceur est contrebalancée par la lutte menée par la jeunesse pour briser les reins de l'Histoire, qui a la mauvaise habitude de reproduire les mêmes schèmes, et un humour salvateur.

Ce combat de la vie contre la mort, des sexes gonflés d'amour contre ceux bandés de noirs désirs, est aussi d'une grande richesse au plan narratif. Wajdi Mouawad échafaude en effet ses tragédies modernes à force d'heureux emprunts tant au théâtre antique qu'au roman de chevalerie, au mélodrame et au cinéma, mais toujours dans une forme fondamentalement théâtrale dont les artifices relèvent davantage de l'ingéniosité que des effets spéciaux. Du théâtre qui repose d'abord sur les épaules d'acteurs chevronnés, une vingtaine dans ce cas-ci, et le texte, touffu, traversé d'éclairs de poésie.

Le plus souvent, le metteur en scène fait preuve d'une adresse remarquable, si ce n'est qu'il y a un os dans Forêts qui tend vers le fantastique, mais qui s'avère difficile à avaler, et que cette pièce finit par sembler inutilement longue, complexe et bavarde. Des défauts qu'on ne songerait toutefois pas à reprocher à Littoral et encore moins à Incendies, la plus dure et la plus percutante des trois pièces.

Fresque sur l'identité et la mémoire, sur les liens familiaux qui relient ou condamnent, Le sang des promesses confronte à la guerre et rappelle combien précieuse est la paix, insiste sur l'importance de connaître son histoire pour trouver sa place dans l'Histoire. Et de cette grande noirceur, oui, jaillit enfin un peu de lumière. Ou plutôt une promesse, celle de ne jamais oublier afin de plus faire couler le sang.