Le metteur en scène letton Alvis Hermanis nous replonge dans son théâtre burlesque muet avec Sonia, adaptée d'une nouvelle de l'auteure russe Tatiana Tolstaia, qui met en scène une femme aux prises avec sa laideur, manipulée par des esprits retors qui lui font croire à l'amour.

L'an dernier, Alvis Hermanis avait étonné et ravi la critique avec The Sound of Silence, une pièce de trois heures sans dialogues qualifiée par ma collègue Sylvie St-Jacques d'«expérience esthétique unique».

«Une quinzaine d'acteurs en habits typiquement «sixties» transforment la scène en tableau vivant, a-t-elle écrit. Pas un mot, à part bien sûr les paroles des chansons de Simon&Garfunkel qui enveloppent ce ballet théâtral nourri par l'esprit du Flower Power.»

Cette fois encore, le directeur du Théâtre de Riga penche pour le théâtre sans texte, même s'il y a un rôle parlant (en russe), celui du narrateur. Tout le début du spectacle est muet, et l'acteur qui joue le rôle de Sonia ne parle pas, indique Alvis Hermanis, que nous avons joint en Lettonie la semaine dernière.

«Depuis mes débuts comme metteur en scène, j'ai toujours pris le parti d'un théâtre peu bavard, explique-t-il. Si on peut éviter les mots, c'est mieux. C'est plus fort. Dans les répétitions, on cherche toujours la solution non verbale. Les théâtres français, anglais et allemand sont basés sur des textes très littéraires, pas le nôtre.»

L'impératif de la laideur

Fort bien. Mais comment en est-il venu à attribuer le rôle de Sonia à un homme? «C'était très important pour moi que Sonia soit laide et grosse. Pour justifier sa solitude. C'est pour ça que nous avons choisi un acteur mâle. Parce que nos actrices sont trop jolies...» ironise-t-il, pince-sans-rire.

«J'ai même pensé représenter Sonia en créant une énorme marionnette, poursuit Hermanis. Parce que je voulais qu'elle soit laide, mais aussi visuellement étrange. Mais ça me semblait un peu compliqué à manipuler. Alors je me suis rabattu sur un acteur, Gundars Abolins, qui a vraiment composé le rôle.»

Ce personnage de Sonia est une femme solitaire mais heureuse... en dépit de sa laideur. De vilains esprits lui font croire qu'un dénommé Nicolai est amoureux d'elle et, pour rendre le mauvais tour crédible, lui font parvenir des lettres enflammées. À travers cette fausse histoire, Sonia vit les plus beaux moments de sa vie.

La pièce est présentée en russe (avec surtitres), chose rare pour le Théâtre de Riga, qui donne toutes ses représentations en letton. «Nous avons fait ce choix pour deux raisons. D'abord, l'acteur qui joue le rôle du narrateur est russe. Ensuite, le texte est en russe. On a donc décidé de rester fidèle à la langue d'origine.»

Écriture psychologique

La nouvelle de Tatiana Tolstaia a tout de suite séduit Hermanis, dont l'adaptation a déjà été présentée dans plus de 25 pays. «Sonia est une histoire puissante écrite par Tatiana Tolstaia, une des auteures russes contemporaines les plus respectées. Son style s'inscrit dans la tradition de l'écriture psychologique russe.»

L'action se situe dans les années 40. Comment a-t-il reproduit cette époque? «Notre théâtre est très réaliste et nous sommes très perfectionnistes, avance Hermanis. L'appartement de Sonia est une représentation réelle du Leningrad des années 40. Les planchers de bois, les objets, nous avons trouvé tout notre décor à Saint-Pétersbourg.»

«Pour connaître vraiment quelqu'un, il faut le voir chez lui, dans son espace propre, a déjà confié Alvis Hermanis. D'où l'idée de construire un décor intérieur pour Sonia. Dès que les gens sont chez eux, ils retrouvent souvent la liberté de vivre comme ils l'entendent.»

Sonia du Théâtre de Riga, à la Maison Théâtre du 9 au 11 juin. En russe avec surtitres français et anglais.