Gaétan Paré a trouvé «la petite perle» qu'il cherchait pour son nouveau projet de mise en scène. Le moche, de l'Allemand Marius von Mayenburg, est un texte savoureux, extrêmement bien rythmé, à la fois intelligent, drôle et absurde, sur le regard qu'on porte sur les autres.

Lette est un brillant ingénieur qui vient d'inventer le connecteur 2ck. Peu importe. Son patron délègue son assistant pour présenter le produit dans un important congrès international, parce que Lette a une «tête impossible». En d'autres termes, il est affreusement moche.

L'auteur soulève une première question: Ceux qui sont moches le savent-ils? Dans le cas qui nous intéresse, la réponse est non. Le pauvre n'est apparemment pas conscient de son physique ingrat. Mais le jour où son patron «s'ouvre à lui» et que sa femme admet qu'elle n'est pas avec lui pour sa beauté, sa vie bascule.

Il ira voir un chirurgien pour changer de visage. Impossible de ne pas penser au roman Quelqu'un d'autre, de Tonino Benaquista, qui traitait du même thème, avec deux personnages qui passent le cap de la quarantaine en se demandant s'il est possible, à leur âge, de devenir quelqu'un d'autre.

Dans les deux cas, les personnages sont convaincus que leur apparence ou leur plastique peut les changer. Mais est-ce suffisant pour changer d'identité? Le regard qu'on a de nous-mêmes change-t-il lui aussi? D'un côté, on s'accroche à qui on est vraiment, de l'autre, on devient quelqu'un d'autre aux yeux des autres.

Une chose est sûre, la société, elle, est impitoyable vis-à-vis des moches, qu'elle ignore totalement, ne notant leur présence que pour rehausser l'estime des moins moches. Je ne vous révèle pas tous les punchs du Moche, mais il y a d'intéressants et farfelus rebondissements.

Les quatre acteurs maîtrisent parfaitement leur partition, à commencer par Sébastien Dodge, le moche en question, qui a des airs d'Archie, et qui parvient à nous entraîner dans son délire identitaire. Qu'il ne se vexe pas si je dis qu'il est totalement crédible.

Jean-Moïse Martin joue tout en contrastes le rôle de l'assistant de type militaire, mais aussi celui du fils gai d'une riche cliente potentielle; Véronic Rodrigue est craquante dans le rôle de la femme de Lette; alors que Yannick Chapdelaine interprète deux personnages tout aussi clownesques: le patron et le chirurgien.

La mise en scène de Gaétan Paré se lie bien au texte et nous donne à imaginer ce que nous ne pouvons voir. Les choix musicaux sont judicieux et confèrent à cette comédie philosophique des airs de bédé. À voir absolument.

On en sort presque heureux de savoir qu'il y a plus moche que nous.

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Le moche, du Théâtre de la Pacotille. À l'Espace 4001 jusqu'au 5 juin.