La crise financière a été garrottée, la reprise amorcée, mais les emplois ne pleuvent pas. Ni pour Monsieur Tout-le-Monde, ni pour les artistes. Dans le but avoué de donner du boulot aux créateurs et de répondre au mandat qu'il s'est donné de «servir la communauté artistique», le TNM a décidé de présenter d'imposants spectacles l'an prochain. «On est une force d'emploi et on le sait», a dit Lorraine Pintal, lors d'une rencontre précédant le dévoilement officiel de la programmation 2010-2011 du théâtre qu'elle dirigera pour la 18e saison.

Deux des cinq spectacles qu'elle a choisis de produire feront effectivement appel à des distributions imposantes: 21 comédiens ont été recrutés pour faire chanter L'opéra de quat'sous de Brecht, sous la direction de Robert Bellefeuille, et Marc Béland pourra compter sur 14 acteurs pour redonner vie à Hamlet, pièce immense dont il a lui-même endossé le rôle-titre il y a 20 ans, sur les planches du TNM, dans une mise en scène d'Olivier Reichenbach.

Ces deux productions s'avèrent révélatrices sur un autre plan: la prochaine saison du TNM misera d'abord sur des classiques. Outre ces oeuvres universellement connues de Brecht et de Shakespeare, Lorraine Pintal a en effet jeté son dévolu sur l'une des plus grandes pièces de Michel Tremblay (À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, dirigée par Gill Champagne), une création sur le thème de La belle et la bête (par Lemieux Pilon 4D Art) et invité le prestigieux Piccolo Teatro de Milan à présenter un Goldoni, Trilogia Della Villeggiatura.

Ainsi, la directrice artistique du TNM sera la seule à se frotter à une oeuvre contemporaine: Le Dieu du carnage, une pièce de l'auteure française Yasmina Reza. «C'est une pièce pour acteurs», dit-elle à propos de cette histoire bien actuelle qui met aux prises deux couples dont la rencontre a été provoquée par la violente altercation de leurs enfants. J'ai envie de revenir à la direction d'acteurs. Je suis comédienne, c'est comme ça que je suis entrée dans ce métier, et c'est ce que j'aime.»

Ce n'est pas parce qu'on se frotte à un classique qu'on ne peut pas lui donner une couleur contemporaine, bien sûr. Robert Bellefeuille, Pierre Benoît (direction musicale) et René Daniel Dubois (traduction) entendent d'ailleurs «décaper» l'oeuvre de Brecht à laquelle ils se mesurent. Le point de départ? Une langue directe qui sonne, loin des traductions françaises «littéraires», et des musiques moins carrées.

«Mon but est de redonner leurs lettres de noblesses à ces musiques-là, d'enlever le côté ampoulé, opératique, annonce Pierre Benoît. Parce que les disques qu'on trouve sur le marché ont été faits par des opéras et renvoient le côté allemand très statique, très carré. Je veux ramener le côté décadent et festif à l'origine de L'opéra de quat'sous

Hamlet

Marc Béland entend mettre l'accent sur la relation père-fils dans Hamlet, ce qui jettera un éclairage différent sur l'incontournable lien mère-fils au coeur de la pièce. «Pour moi, Hamlet, c'est un p'tit gars qui n'est pas séparé de sa mère parce que le père est toujours absent, résume le metteur en scène. Il n'a pas fait son travail, qui est de séparer le fils de sa maman.» Benoît McGinnis interprétera ce Hamlet que Marc Béland a l'intention de plonger dans un lieu de pouvoir actuel, sans doute un parlement. «Il y aura des costards trois pièces», prévoit le metteur en scène.

Victor Pilon et Michel Lemieux assurent quant à eux qu'ils ne verseront pas dans le conte de fées, mais créeront «un spectacle contemporain basé sur le mythe de La belle et la bête (avec le concourt de Bénédicte Décary et François Papineau, notamment). Gill Champagne, directeur artistique du Théâtre Trident de Québec, aborde lui aussi À toi, pour toujours, ta Marie-Lou avec un regard neuf et entend prendre ses distances avec la vision traditionnelle qu'on a de Léopold (Denis Bernard) et Marie-Lou (Marie Michaud) en les plaçant dans une espèce de purgatoire.

«Ces parents-là sont prisonniers d'un marécage. Il y a de l'eau sur scène, ils errent et continuent de s'entredéchirer. Il y aura moins de rage et plus de tendresse. Personne n'a tort, personne n'a raison», insiste le metteur en scène. Kathleen Fortin et Dominique Quesnel complètent la distribution de ce classique québécois qu'il qualifie de «grande tragédie contemporaine».

En raison de travaux de rénovation annoncés plus tôt cette année, le TNM commencera sa saison au Théâtre Maisonneuve. C'est en effet à la Place des Arts que sera présentée Trilogia Della Villeggiatura de Goldoni (du 22 au 26 septembre). L'opéra de quat'sous prendra l'affiche le 28 septembre, dans un TNM remis à niveau, notamment au plan technologique.