En jetant un coup d'oeil aux décennies écoulées, en particulier la dernière, ainsi qu'aux semaines qui viennent, un constat s'impose: le succès et l'importance du musical au Québec - qu'on le traduise par comédie musicale ou théâtre musical. Après tout, la tendance est à l'hybride, alors pourquoi pas sur scène, où l'on peut amalgamer théâtre et chanson, répliques et mélodies? Loin du modèle américain ou européen, une certaine manière québécoise serait-elle en train de voir le jour?

Des musicals américains en tournée qui font escale à Montréal, Ottawa et Québec, c'est monnaie courante (par exemple, l'énième représentation de Jesus-Christ Superstar, le 1er mai à la PdA). Mais depuis quelques années, le «théâtre musical» conçu au Québec est à ce point populaire et présent dans notre univers culturel que la très sérieuse revue de théâtre Jeu y a même consacré un long dossier dans son numéro de mars 2007.

L'un des constats de ce dossier était qu'il y avait peu de musicals d'auteur, au Québec – entendre par là des oeuvres écrites expressément pour le théâtre musical, comme dans leur temps Starmania et Pied de poule. Actuellement, seul Jean-Pierre Ferland travaille à un musical «original», Madame Simpson, dont on entend un extrait sur son récent album de duos Bijoux de famille.

En fait, partout dans le monde, à la manière du cinéma, le musical s'inspire de plus en plus de la littérature ou de la chanson populaire, et le Québec ne fait pas exception à la règle. Ainsi, Belles-soeurs est adapté de la pièce de théâtre de Michel Tremblay, et Le blues d'la métropole s'articule autour du répertoire de Beau Dommage. Un peu de «connu», ça ne nuit jamais, n'est-ce pas? «Peut-être, répond le metteur en scène Serge Denoncourt, mais ce qui me frappe surtout, c'est que ce qu'on fait ici, personne d'autre ne peut le faire! Ici, on ne peut pas monter Billy Elliot ou 42nd Street, on n'en a pas les moyens. Par contre, on peut parler de nous, de notre histoire, avec du théâtre et des chansons. Ce n'est pas exotique, Le blues d'la métropole ou Belles-soeurs, mais c'est justement pour ça que c'est intéressant!

«Pour Le blues d'la métropole, renchérit-il, j'ai eu les moyens que je demandais: ce n'est pas parce que ça se passe dans un milieu ouvrier que le décor ou les costumes vont être cheap, au contraire. Mais c'est justement parce que ça parle de nous que ça repose sur tout autre chose que les paillettes et le glamour.»

«On ne peut pas se permettre des numéros de production à tout prix comme le font les Américains et les Britanniques, explique pour sa part René Richard Cyr, qui monte Belles-soeurs. On n'a donc pas le choix de s'appuyer sur un texte, une histoire et des mélodies fortes.»

«On n'a pas les moyens, mais on a les chanteurs et les chanteuses de talent pour en faire, assure pour sa part la metteuse en scène Denise Filiatrault. Qui lance toutefois, à propos de La mélodie du bonheur, qu'elle monte dans le cadre du prochain Festival Juste pour rire: «Ça sera sans doute la dernière comédie musicale que je mets en scène.» Pourquoi? Parce que la directrice artistique du Rideau Vert qu'elle est avant tout ne peut plus faire prendre de tels risques financiers à son théâtre - une seule erreur de programmation coûte trop cher.

Car l'une des réalités les plus étranges du musical classique, s'il est américain ou européen, c'est que le pourcentage des droits d'auteur à verser augmente habituellement à mesure que le nombre de représentations s'accroît! Bref, plus une comédie musicale a du succès, plus il faut payer ses auteurs. Une comédie musicale à grand déploiement comme Les misérables, mise en scène par Frédéric Dubois à Québec en 2008 et reprise cet été aux FrancoFolies de Montréal, c'est un investissement de départ important... Mais aussi des débours importants ensuite! Voilà pourquoi des entreprises comme les Productions Libretto, qui avaient pour mission de produire des comédies musicales un peu plus fastueuses au Québec il y a quelques années, disparaissent. Un budget de 2 millions (celui de Roméo et Juliette en 2000, avec metteur en scène vedette et moult décors, costumes, danseurs...), c'est à peu près inimaginable de nos jours.

Paradoxalement, ce sont peut-être ces conditions qui vont permettre à un théâtre musical made in Québec de prendre son envol, de même que le nombre croissant de comédiens qui suivent une solide formation en théâtre musical. «En tout cas, mon souhait, conclut René Richard Cyr, c'est qu'un petit gars ou une petite fille, en voyant Belles-soeurs ou Le blues d'la métropole, ait envie à son tour d'inventer de toutes pièces une histoire chantée, de se mettre à faire du théâtre musical parce que c'est  ça qu'il veut faire, et pas autre chose!»