On sait que la langue de Michel Tremblay sonne. Quatre décennies après la création de sa pièce Les belles-soeurs, René Richard Cyr et Daniel Bélanger la font chanter. L'adaptation musicale de cette pièce inspirée notamment par la tragédie grecque pose le premier jalon d'une mythologie proprement québécoise, avance la comédienne Marie-Thérèse Fortin.

Les têtes d'affiche de Belles-soeurs ne sont pas des inconditionnelles de comédies musicales. Marie-Thérèse Fortin avoue n'y aller qu'à la demande de ses enfants. Guylaine Tremblay a toutes les misères du monde à se rappeler le titre de celle qu'elle a vue il y a quelques années («voyons, les cathédrales...»). Maude Guérin les adore sur pellicule... si elles s'appuient sur un bon texte: «Je ne suis pas folle des comédies musicales qui n'ont pas d'histoire et qui ne sont qu'un prétexte pour placer une chanson après l'autre.»

Belles-soeurs, spectacle de théâtre musical que René Richard Cyr a tiré de la célèbre pièce de Michel Tremblay, raconte justement une bonne histoire. Celle de 15 femmes qui, rameutées par Germaine Lauzon (Marie-Thérèse Fortin), passent une soirée à coller des timbres-primes. Elles rigolent, se crêpent le chignon et se taquinent un peu. «On se croirait dans une basse-cour!» lance Lisette De Courval, la snob. Chacune finit par lever le voile sur sa misère.

Les belles-soeurs, ce n'est toutefois pas qu'une bonne histoire, c'est aussi un moment-clé de notre histoire. «C'est une pièce qui a bouleversé non seulement le théâtre québécois, aussi mais la société québécoise», estime Marie-Thérèse Fortin. Elle pense bien sûr à l'âpre débat suscité par l'utilisation du joual sur les planches, mais aussi – sinon surtout – à la dénonciation de la condition des femmes.

«Juste être 15 femmes sur scène à l'époque, c'était quelque chose», rappelle Maude Guérin (Pierrette Guérin, la «guidoune»). En plus, pour la première fois, elles racontaient le quotidien éreintant des ménagères, l'emprise de l'Église, leur misère sexuelle et leur ardent désir de s'affranchir.

«On a l'intuition qu'il y a quelque chose là-dedans qui touche nos origines, qui a forgé notre identité, dit Marie-Thérèse Fortin. On sait que tout ça a existé de manière réelle et très forte. Qu'on le veuille ou non, ça nous a façonnés. Et la dénonciation de cette réalité-là a aussi façonné la société québécoise.»

Miroir grossissant

Qu'en est-il 42 ans plus tard? On constate tout d'abord qu'on ne voit presque jamais autant de comédiennes sur la même scène. Sur ce plan, rien n'a changé. Les passages les plus datés, comme ce drame autour des sorties d'Angéline Sauvé (une vieille fille) dans les boîtes de nuit, montrent par contre que les mentalités ont évolué.

«J'ai l'impression qu'il y a eu beaucoup de changements, il ne faut pas le nier, mais qu'il y a aussi eu beaucoup de transferts», souligne toutefois Guylaine Tremblay (Rose Ouimet). La misère sexuelle exprimée par son personnage existe encore, selon elle, mais pas de la même façon.

«Peut-être qu'il y a moins de Rose Ouimet qui ne peuvent pas s'en aller de la maison parce qu'elles n'ont ni argent ni instruction, mais les jeunes filles qui doivent jouer les bombes sexuelles à 14 ou 15 ans parce que c'est l'image qu'elles voient, c'est aussi une forme de misère sexuelle», juge-t-elle.

Marie-Thérèse Fortin assure que René Richard Cyr a beaucoup élagué le texte original pour en arriver à l'adaptation qu'il propose. «On a gardé ce qui est le plus emblématique de la pièce», dit-elle. Qu'est-ce que Les belles-soeurs? Le miroir d'une classe sociale, voire de toute une société, qui croit que le bonheur, c'est d'avoir une télévision dernier cri ou un nouveau sofa. «On est peut-être même pire qu'avant», avance Guylaine Tremblay.

De la musique sur les mots

La pertinence du propos ne justifie pas à elle seule l'intérêt de monter Belles-soeurs en 2010, selon Marie-Thérèse Fortin. Ce qui fait toute la différence, c'est la musique que Daniel Bélanger a mise sur les mots de Michel Tremblay. En plus de transporter la pièce dans le présent, l'approche musicale souligne, à travers l'utilisation des choeurs, que ces femmes se reconnaissent toutes dans les failles de l'autre.

Marie-Thérèse Fortin, qui est aussi directrice du Théâtre d'Aujourd'hui, l'instigateur du projet, a tout de suite été emballée par l'idée de voir des actrices chanter dans la peau de leur personnage. «L'énergie n'est pas la même que quand on joue, assure-t-elle. Le monologue du maudit cul, on l'a toutes fait. Mais il y a quelque chose qui passe quand on le chante que je ne saurais pas faire passer dans le jeu.»

«Le chant partagé crée la communauté des femmes. C'est une force dramatique en soi, ajoute-t-elle. Ce qui est dramatique devient plus dramatique et ce qui est comique, encore plus comique. Le chant magnifie ces femmes, comme si elles devenaient des icônes, des archétypes d'une mythologie qui serait peut-être la nôtre.»