L'enfer, c'est quoi? Bosch, dans son triptyque du Jardin des délices terrestres, l'a peint comme un jardin des supplices où lances, dagues et monstres tailladent la chair humaine. Sartre, moins tape-à-l'oeil, a imaginé un salon Second Empire. Une salle d'attente, en somme, où il a enfermé pour l'éternité les damnés de son célèbre Huis clos.

Garcin (Patrice Robitaille) avait aussi une petite idée de ce à quoi pouvait ressembler l'enfer. Elle incluait des pals, des grils et d'autres ingénieux instruments de torture. D'où sa surprise lorsqu'un étrange garçon d'étage coiffé d'un chapeau melon (Sébastien Dodge, délicieux) le fait entrer dans une pièce à l'allure dépouillée, meublée seulement de trois canapés.Ce banal salon, le sculpteur Michel Goulet l'a placé dans une structure impressionnante mais légère: un très élégant cube fait d'arêtes de métal en suspension dans l'espace. Du balcon, on voit bien que le plancher de la scène a été retiré, laissant voir une carcasse de poutres et de... vide.

Dans cette cage sans barreaux et pourtant sans issue se feront face trois personnages: Garcin, Inès (Pascale Bussières) et Estelle (Julie Le Breton). Ils ne se connaissaient pas dans le monde des vivants, c'est la mort qui les a réunis. Aucun d'entre eux ne s'étonne d'aboutir en enfer, seulement de ne pas y trouver de bourreau. Chacun découvrira assez tôt que le pire supplice, c'est de n'avoir que le regard des deux autres comme témoin de son «existence».

Comme des lions en cage

Ce besoin viscéral de l'Autre et la souffrance que cela cause, Lorraine Pintal l'illustre bien dans sa manière d'orchestrer les déplacements. Inès, Garcin et Estelle ne cessent de se tourner autour, de se rapprocher, de se piquer et de battre en retraite. Comme des lions en cage, mais avec une certaine grâce et parfois avec esprit.

Ce mouvement auquel ils n'arrivent pas à se soustraire, et dont la mise en scène souligne le caractère perpétuel à travers une série de répétitions soigneusement intercalées, est censé pousser Garcin au désespoir. Or, la froideur générale du spectacle fait qu'on a du mal à croire à l'étendue de sa détresse lorsqu'il réclame la torture par les tenailles et le plomb fondu parce qu'il ne supporte plus le «fantôme de souffrance» que constitue cette cohabitation forcée.

Le rythme précipité des échanges n'aide pas à asseoir le texte, à faire écho à la tension et à la réflexion qui le traversent. Ces trois-là ne sont pas faits pour s'entendre, mais ce ton agacé qui ne les quitte presque jamais empêche de faire sentir l'irritation qui grandit en eux et l'affliction qui les alourdit.

La dynamique du triangle infernal en souffre. Ce qui n'empêche pas les acteurs d'offrir des performances individuelles convaincantes. Pascale Bussières compose une Inès froide et cassante, qui s'impose à l'aide d'un ricanement sardonique à donner froid dans le dos. Patrice Robitaille campe un Garcin presque humain dans ses tiraillements intérieurs. Julie Le Breton arrache quant à elle quelques rires salvateurs dans la peau d'Estelle, séductrice faussement naïve qui ne sait exister que dans le désir des hommes.

On s'en voudrait de ne pas insister sur la présence de Sébastien Dodge, que Lorraine Pintal a eu la bonne idée de faire rôder autour du salon principal. Observateur discret, il se déplace d'un pas exagérément souple et emprunté qui fait penser au Jim Carrey du film The Mask et ajoute une touche sournoise à ce spectacle distant mais beau.

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Huis clos, jusqu'au 8 avril au TNM.