La nécessité est la mère de l'humiliation. Ce n'est écrit dans aucun dictionnaire de proverbes, mais c'est le terrible constat qu'on fait après avoir vu On achève bien les chevaux, adaptation libre d'un roman d'Horace McCoy présentée au Quat'Sous. Ne retenant que les éléments clés de l'oeuvre originale, Marie-Josée Bastien l'a transposée à Québec et en a fait un mélodrame aux airs de cirque de l'indigence.

La trame tient en quelques lignes: dans le Québec de la Grande Dépression, des couples sans le sou et affamés participent à un grand concours de danse. Orchestré par un puissant contrebandier, l'événement vise d'abord à détourner l'attention du grand coup qu'il prépare sur les quais du port.

Rassemblés comme du bétail dans une énorme shed, les pauvres dansent, soufflent et suent. Pire, ils se voient contraints de se plier à tous les caprices du maître de piste, qui veut offrir un bon show. Sa façon de traiter les humains comme des animaux (des chevaux de derby, en l'occurrence) et de les donner à voir dans une arène renvoie à notre fascination pour le spectacle de la misère. Celle des autres, évidemment.

Ce qui semble intéresser davantage Marie-Josée Bastien, c'est toutefois la mécanique de l'exploitation et de l'humiliation. De la survie, aussi. Ces couples démunis luttent pour avoir de quoi manger aujourd'hui et se démènent dans l'espoir d'avoir une vie meilleure, même si cela implique de s'abaisser aux yeux de nantis hypocrites qui se drapent dans la morale tout en fermant les yeux sur la misère des autres.

Ces questions, d'une grande pertinence à l'heure où le monde s'extirpe avec peine d'une grave crise financière, s'incarnent toutes à travers les nombreux participants au concours de danse. Marie-Josée Bastien donne ainsi à voir une mosaïque de la misère qui, si elle s'avère évocatrice, demeure en surface des choses.

Trop de drames dansent côte à côte et trop peu sont développés en profondeur pour éviter le manichéisme. D'où la difficulté d'adhérer aux tragédies personnelles qui s'accumulent ici et, en particulier, à l'amour désespéré du couple au coeur de l'histoire. La force du propos et les tableaux les plus réussis ne parviennent pas à réchapper cette impression de dilution qui finit par survenir au cours de ce long spectacle de près de 2 h 30.