Cerner Gestes impies en quelques lignes représente tout un défi. La nouvelle création du théâtre de la Pire espèce, déjà présentée au dernier Festival de théâtre des Amériques, est en effet un objet pour le moins éclaté, à la fois beau et bancal, qui amalgame, usurpe et parodie différentes formes de représentation. Et c'est tantôt ingénieux, tantôt décousu.

Gestes impies, ont dit ses créateurs Marc Mauduit, Francis Monty et Mathieu Gosselin, est né du désir d'explorer le sacré et d'interroger l'effritement des rites. Voilà qui fait bien sérieux. Toutefois, le spectacle qui en résulte est d'abord profondément ludique.

Les premiers tableaux, parfois carrément bouffons, empruntent à la forme du cabaret et doivent beaucoup à l'univers circassien: clown, acrobaties, maître de piste, etc. Les emprunts iront en se multipliant: liturgie (un tableau très réussi mêlant art lyrique, messe et torture), mythologie (un monstre mi-homme, mi-bête qui tient aussi de la mascotte) et sorcellerie (une espèce de griot blanc monté sur des conserves comme s'il s'agissait de cothurnes).

Peu à peu, sans totalement perdre son sens de l'humour, le spectacle glisse vers une dimension plus philosophique: quête de sens, quête de soi, rites de passages, voyage initiatique, interrogation sur le rôle qu'untel est venu jouer sur Terre... ou dans le spectacle lui-même. Gestes impies applique en effet nombre de ses questions spirituelles à la création elle-même, une mise en abyme qui passe notamment par les interventions hors champ d'un metteur en scène.

Il faut d'emblée admettre que le parcours narratif n'est pas la principale force du spectacle. Le propos, mal cerné, pas particulièrement original et parfois trop candide, n'est pas rendu beaucoup plus intelligible par l'agencement de tableaux où la forme prime sur le fond. Or, lorsqu'on commence à se désintéresser du spectacle mis en scène par Francis Monty, une prouesse esthétique ou le langage scénique viennent raviver notre intérêt.

La Pire espèce joue encore beaucoup avec les objets. De la fanfare d'instruments inventés aux costumes transformables, de lames de scie circulaire qui deviennent des cymbales aux nombreux effets spéciaux de carton et de papier, l'oeil et l'esprit sont constamment ravis par l'ingéniosité des créateurs. Voilà du théâtre d'image, qui doit beaucoup au bricolage.

Il est tout simplement fascinant de voir les sept comédiens (Marcelle Hudon, Céline Brassard, Mathieu Gosselin, Denys Lefebvre, Alexandre Leroux, Anne-Marie Levasseur et Marc Mauduit) manipuler ces objets et les détourner de leur usage habituel. Leur engagement physique est aussi remarquable. La perte de repères trouve en effet un écho dans une gestuelle parfois désarticulée et des postures renversées.

Gestes impies ne se départit jamais d'un côté «sans queue ni tête», d'ailleurs revendiqué par l'un des personnages. L'inventivité de ses artisans et l'étonnant amalgame de genres auquel il s'adonne confère néanmoins à ce spectacle une beauté baroque stimulante.

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Gestes impies. Jusqu'au 23 janvier à Espace libre.